« Marins à l’ancre » :

Ethnographie d’un projet de muséologie inclusive

« Pendant plus d’une année, nous avons suivis les bénévoles chargés du travail d’archivage et du collectage auprès des « anciens » ainsi que les nombreuses activités collectives et réunions. Une vingtaine d’entretiens ont été réalisés auprès des principaux acteurs du projet … nous sommes partis de l’analyse de l’ingénierie participative … pour analyser ensuite la participation des bénévoles dans leur quotidienneté, afin de comprendre les dynamiques internes du projet et ses spécificités, ses réussites et ses difficultés. »

Claude Le Gouill

 

Claude Le Gouill

Docteur en sociologie, IHEAL-Paris3
Chercheur associé au CREDA

« Marins à l’ancre » : Ethnographie d’un projet de muséologie inclusive

SOMMAIRE

En 2016, à la demande des ministres en charge de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, l’INRA rendait un rapport sur les sciences participatives en France afin de dresser un état des lieux de la question et de recommander des « bonnes pratiques » à leur mise en place (INRA, 2016). Ce travail s’inscrit dans la continuité d’autres rapports sur cette même thématique (Comets, 2015), axés sur la biodiversité (Ifrée, 2010) ou l’astronomie (AFA, 2012). Connue également sous l’appellation de « science citoyenne » (Citizen Science en anglais, Irwin, 1995), ces pratiques collaboratives entre « experts » et « citoyens » ne sont pas nouvelles, mais les nombreuses publications de ces dernières années témoignent d’un intérêt grandissant de décloisonner la recherche et de la rapprocher du « grand public ». Cette dynamique s’inscrit plus généralement dans un « impératif délibératif » (Blondiaux et Sintomer, 2009) qui pénètre peu à peu toutes les sphères de la société.

Cette dynamique a été renforcée au niveau institutionnel, que ce soit sous l’impulsion de l’Union Européenne qui, depuis 2010, finance un ensemble de projets afin de mieux définir les sciences participatives et de promouvoir leur développement comme Socientize. En France, la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et à la recherche favorise les « sciences participatives » (ou « sciences citoyennes »), « à savoir des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels — qu’il s’agisse d’individus ou de groupes — participent de façon active et délibérée » (INRA, 2016). La recherche participative, instituée lors d’un symposium international tenu en Colombie en 1977, « part de la conviction que le savoir n’est jamais un objet séparé de la personne, qu’il s’inscrit au contraire à même sa relation avec la personne et son expérience immédiate des circonstances dans lesquelles cette relation se produit » (Bourassa et al., 2007). Dans ce domaine, l’aspect « participatif » renvoie autant à la production de la connaissance par l’implication de la société au processus de recherche, qu’à la diffusion de la culture scientifique et technique auprès du plus grand nombre (INRA, 2016).

Un domaine moins connu de ce phénomène participatif, axe central de notre enquête, est celui des musées avec le courant de la « muséologie inclusive ». L’Amérique du Nord est à la pointe de cette dynamique avec de nombreuses expériences de « musées communautaires » qui octroient une place centrale aux communautés locales, notamment aux peuples autochtones, dans la conception des expositions (Musée Newark à New-York, musée AK-Chin en Arizona, voir Fuller, 1992). En France, si déjà en 1876 le musée cantonal de Lisieux créé par l’avocat Edmond Groult avait comme objectif de démocratiser le musée, il faut attendre la « nouvelle muséologie » des années 1970 pour relancer les débats sur la place des musées dans la société avec la création des écomusées, dont celui de Creusot-Montceau est le plus emblématique. Ces nouvelles expériences muséales visent à « désacraliser le musée » (Mairesse, 2000) par la participation des communautés comme acteurs légitimes de l’institution dans la continuité des revendications de mai 1968 pour la démocratisation culturelle. Cette « nouvelle muséologie » n’est pas uniquement française, mais s’inscrit dans un contexte international de valorisation des « périphéries du monde muséal classique » (Mairesse, 2000) par la création de musées aussi bien dans les quartiers défavorisés des grandes villes (le Musée d’Anacostia, à Washington en 1967, La Casa del Museo à Mexico en 1973), que dans les régions industrielles en déclin (l’écomusée du Creusot en1972) ou dans les régions rurales (l’écomusée des Monts d’Arrée en 1969). Dans tous les cas, il s’agit de faire passer le musée du « temple » au « forum » (Cameron, 1971) dans le but de diminuer la distance entre le musée et les habitants, mais aussi de permettre d’aider la communauté elle-même (Mairesse, 2000). Ces projets se « déradicalisent » cependant peu à peu avec le temps pour laisser place davantage à un pragmatisme technique et patrimonial (Mairesse, 2000 ; Fernandez, 2015).

Deux courants opposés expliquent cette dynamique participative. Un premier, bottom-up (« depuis le bas »), est le fait d’initiatives locales militantes, dont l’Amérique du Nord est un cas d’école avec un objectif l’empowerment des populations et trouve son origine dans la tradition caritative du travail social ainsi que dans les mouvements sociaux des années 1960 (Bacqué, 2006). L’institutionnalisation de ce modèle l’a cependant parfois éloigné de son objectif initial. Un autre, top down (« depuis le haut »), est aujourd’hui associé au modèle dit « néolibéral ». Il valorise la prise en compte de la « société civile » comme un mode de gestion pacifié visant souvent à mettre un terme au rôle central des structures étatiques dans la gouvernance des territoires et des institutions (La Branche, 2003 ; Gourgues et al., 2013). Paradoxalement, la prise en compte du public s’est accompagnée d’une montée en puissance du rôle des « experts » et de l’expertise dans le débat public. En conséquence, bien que la « société civile » soit invitée à participer aux débats, la « technicisation » de ceux-ci les rendent peu accessible à l’ensemble de la population, engendrant par la même une désillusion du phénomène participatif et de nouveaux sentiments d’exclusion pour la population aux capitaux culturels les plus faibles, qui se sent doublement rejetée : à la fois des décideurs et de la branche de la société civile la plus instruite qui est la seule capable de participer au débat.

Au-delà des débats idéologiques autour des nouvelles formes de participation citoyenne, nous proposons ici une ethnographie d’un projet de « muséologie inclusive », le projet Marins à l’ancre à Douarnenez (Finistère). Pendant plus d’une année, nous avons suivis les bénévoles chargés du travail d’archivage et du collectage auprès des « anciens » ainsi que les nombreuses activités collectives et réunions. Une vingtaine d’entretiens ont été réalisés auprès des principaux acteurs du projet1. Comme l’indiquent Loïc Blondiaux et Jean-Michel Fourniau (2011), l’analyse du procédé participatif « ne signifie jamais travailler exclusivement sur la participation », mais permet au contraire une entrée pour analyser les cultures politiques. Dans le cas de Marins à l’ancre, le projet est ainsi étroitement lié à la dynamique de deux institutions centrales: la Région Bretagne et le Port-Musée de Douarnenez. Il est également inséparable de l’association Emglev Bro Douarnenez, qui a joué un rôle pivot de coordination. Il repose enfin et surtout sur des bénévoles chargés de réaliser l’enquête et de penser sa finalisation et sa valorisation. Pour comprendre cette dynamique, nous sommes partis de l’analyse de l’ingénierie participative — « entendue comme regroupant tout à la fois les ingénieurs (acteurs et promoteurs), la machinerie (outils, dispositifs, savoir-faire, etc.) et les idées qui sont portées par ces ingénieurs via ces machineries » (Mazeaud et al., 2016) — pour analyser ensuite la participation des bénévoles dans leur quotidienneté, afin de comprendre les dynamiques internes du projet et ses spécificités, ses réussites et ses difficultés.

Le cadre institutionnel du projet

Porté par l’association Emglev Bro Douarnenez et co-construit par le Port-Musée de Douarnenez, le projet Marins à l’ancre souhaite valoriser la vie et la mémoire des marins à terre autour de deux axes de recherche. Le premier porte sur un travail autour de l’ancienne école de pêche de Douarnenez. Il comprend un travail d’archivage réalisé conjointement par des bénévoles, une étudiante de l’Université de Bretagne Occidentale et Rolland l’un des formateurs2 afin de créer un fonds d’archives numérique accessible à tous, ainsi qu’un recueil de témoignages d’anciens élèves et professeurs par des bénévoles. L’objectif est ici de réaliser une étude sur le rapport au savoir maritime et sur l’évolution de cette institution dans la ville. Cet axe a comme finalité la publication d’un ouvrage sur l’école de pêche, prévue en 2019, rédigé conjointement par un ethnologue, une historienne et un écrivain : chacun doit apporter son regard spécifique et, en s’appuyant sur le travail d’archivage et de collectage, proposer un ouvrage scientifique ouvert au grand public. Le second axe est un travail sur la vie des marins dans les cafés de Douarnenez avant la fin des années 1970, afin de proposer une entrée innovante à la compréhension du monde maritime par le rôle économique et social des cafés dans la vie des marins. Réalisé principalement par des bénévoles, cet axe comprend un travail de collectage auprès d’anciens marins et de patron/patronnes de cafés3 ainsi qu’un inventaire et une cartographie évolutive des anciens cafés de marins dans la ville (à partir d’entretiens et des registres municipaux). L’objectif final est ici la réalisation d’une exposition autour de ce thème, en 2019, en collaboration avec le Port-Musée de Douarnenez.

Dans son état des lieux de la recherche participative, l’INRA détermine trois types d’acteurs impliqués dans le processus créatif (INRA, 2016). Le premier est le garant scientifique, ici le Port-Musée de Douarnenez à l’origine et partenaire du projet. Le second est le partenaire financeur, dans notre cas la Région Bretagne. Enfin, le collectif des acteurs impliqués dans la recherche, lequel comprend le public bénévole qui réunit dans notre cas une trentaine de personnes, ainsi que le public destinataire (voir infra)4. Le projet Marins à l’ancre a dans notre cas la particularité de réunir un quatrième acteur qui joue un rôle d’intermédiaire essentiel : l’association Emglev Bro Douarnenez.

La région Bretagne au centre de la dynamique participative

La Région Bretagne est l’une des régions françaises pionnières en terme d’inventaire du patrimoine, depuis qu’en 1964 André Malraux, alors Ministre de la Culture, l’a choisie avec l’Alsace comme région pilote pour la création de services d’inventaire afin de répondre aux enjeux politiques et patrimoniaux de l’exode rural. En 50 ans, 130.000 dossiers d’inventaire et 500.000 photos sont collectées en Bretagne, ce qui en fait l’un des plus importants service d’inventaire de France et une région précurseur aussi bien dans l’utilisation des dossiers d’inventaire électronique (dès 1997) que sur l’aspect « participatif ». André Malraux souhaitait déjà développer l’aspect participatif de l’inventaire, « son idée était qu’il y avait des scientifiques, un ou deux par service, qui validaient le travail, mais que ce soient les gens, des étudiants, des bénévoles, qui parcourent toute la Bretagne et qui fassent ce travail. Cela ne s’était pas fait à l’époque, sur les 500.000 photos que l’on a, toutes les premières photos dans les années 1970 sont souvent prises par des étudiants en fait, des étudiants en histoire de l’art » (Valentine, Région Bretagne). Dans un premier temps liés à la DRAC, les services d’inventaire passent à la Région en 2004. C’est à cette période que l’aspect participatif est privilégié afin de rendre ce travail plus visible et plus connu de la population. Les premiers appels à projet « participatif » sont lancés entre 2009 et 2011, puis en 2013 avec « Participez à l’inventaire du patrimoine de la Bretagne », lequel est reconduit en 2014 (« Héritages littoraux ») et en 2016. Il permet à des habitants du territoire de recenser le patrimoine avec le logiciel, la méthodologie et le vocabulaire des techniciens de la Région. La Bretagne étant l’une des régions de France avec le plus d’associations patrimoniales, l’objectif est aussi de s’appuyer sur celles-ci et de les valoriser tout en réalisant un travail d’homogénéisation de l’inventaire, en développant une application et une méthodologie commune à tous, qui permet ensuite à chacun de valoriser son travail grâce au portail internet de la Région Bretagne5 ou lors des journées du patrimoine (visites guidées, conférences, apéro-patrimoine, etc.). Cette méthodologie commune est importante « parce que du coup il y a une homogénéité donc on peut faire des tableaux d’analyse, pour le traitement, on peut faire des cartes. C’est cela qui nous intéressait aussi, parce que ce travail d’inventaire du patrimoine il existe par ailleurs, en dehors du service il y a plein de gens dans les communes, dans les associations, qui font un inventaire […] Donc là, ce qu’on propose, c’est que tout le monde ait la même fiche et puis surtout on propose une visibilité parce que c’est sur internet » (Valentine, Région Bretagne). L’objectif est également patrimonial et scientifique, il doit permettre d’étendre la couverture de l’inventaire : « c’est un peu frustrant d’avoir une communauté de communes ou des villes qui nous demandent “on voudrait un inventaire du patrimoine, quand est-ce que vous pouvez le faire ?”. On est tous déjà sur des projets, donc c’est difficile de dire “non débrouillez vous”. Donc, pour nous l’idée c’était d’avoir une couverture de la Bretagne, c’était d’aller aussi dans des territoires inexplorés, aussi de revisiter les enquêtes d’inventaire parce qu’il y a des endroits où on avait fait des enquêtes d’inventaire dans les années 1970-80, donc les gens repassent avec un autre regard, vont voir des choses que l’on n’avait pas vues ou les transformations » (ibid.). Un autre objectif du processus participatif est plus politique, afin de toucher directement les élus : « l’apport aussi c’est justement la préservation. Parce que nous on est le premier maillon, on est la connaissance. Mais la connaissance pour la connaissance… c’est quand même difficile de voir qu’on a vu un bâtiment, on a fait une fiche, et dix ans après il est détruit ou il est mal rénové et du coup il a perdu toutes ses caractéristiques. Et le fait de faire l’inventaire par les habitants, en fait, ils prennent conscience de leur patrimoine et ce sont les meilleurs ambassadeurs après dans leur commune. Parce qu’ils vont dire après à leur voisin “attention, tu fais des travaux ? Tu sais ta fenêtre c’est typique du 16ème siècle ! Il faut garder quand même !”. [rire] […] Et quand c’est un projet participatif les élus ils sont quand même plus à l’écoute que quand c’est nous qui arrivons avec des prescriptions. […]Parce qu’ils se disent “c’est quand même les administrés, on ne va peut-être pas faire n’importe quoi sur la rénovation du patrimoine” » (ibid.). Enfin, le dernier objectif est scientifique, le processus participatif offrant un accès que les techniciens de la Région Bretagne ne peuvent pas toujours avoir : « le fait que les gens soient du territoire je pense que dans certains endroits ils ont les portes ouvertes plus facilement que nous […]. Parfois un fonctionnaire qui arrive on lui ouvre moins les portes qu’à un habitant de la commune. “Ah vous faites ça bénévolement ? Ben venez je vais vous offrir un café !” » (ibid.).

Le port-musée de Douarnenez et la « muséologie inclusive »

Les personnes rencontrées à la Région Bretagne ont aujourd’hui bien conscience que l’aspect participatif est « à la mode ». Si la Région s’est montrée à la pointe de la participation depuis 2007, cette démarche est aujourd’hui renforcée au niveau national aussi bien par le Ministère de la Culture à travers ses propres appels à projets (« Participez à l’inventaire du patrimoine immatériel ») ou en 2016 lorsqu’il lance une consultation nationale autour du Musée du 21ème siècle, afin que chacun puisse donner son point de vue sur les musées en répondant à la question « le Musée du 21ème siècle vous le voyez comment ? ». A partir de cette initiative, la Région Bretagne, avec l’association Bretagne Musée qu’elle aide financièrement et dont le président actuel est le responsable du Port-Musée de Douarnenez, ont lancé des consultations sous forme d’ateliers et de tables rondes, durant lesquels les habitants étaient invités à faire des propositions pour repenser l’institution muséale. Depuis plusieurs années, le Port-Musée de Douarnenez souhaitait s’inscrire dans la démarche de « muséologie inclusive », notamment depuis le projet Bertré en 2011 (Cotto, 2016). Considéré comme « fondateur » pour le Port-Musée, ce projet est né de la découverte d’un lot inédit de photographies de Douarnenez (1910-1913). L’objectif était dès lors de mobiliser des historiens pour décrire ces photos, mais aussi « des gens de toute condition, qui n’avaient pas forcément de formation universitaire mais qui avaient une légitimité sociale à parler de ces photos parce qu’elles habitaient ce territoire là, où que leurs parents ou grands-parents y habitaient […] L’idée était donc d’avoir à la fois une lecture scientifique et une lecture sensible de ces photos » (conservateur du Port-Musée).

Le conservateur du musée découvre cette démarche « inclusive » en 2005, lorsqu’il travaille dans le parc indien des Mohawk au Québec, lesquels étaient membres du conseil d’administration du musée local. Son objectif est aujourd’hui « de repenser cela au niveau de la communauté maritime » à partir de l’exemple Nord-américain : « c’est clairement nos sources d’inspiration les expériences qui sont nées en Amérique du Nord et l’attrait, la sensibilité à l’adhésion des populations à une perspective muséologique dans un schéma d’appropriation de son propre patrimoine et de son territoire ». Outre cette influence, il fait également des « recherches théoriques » sur la muséologie en s’inspirant notamment de la « nouvelle muséologie » des années 1970 portée par Georges-Henri Rivière. Comme il l’indique, l’objectif est d’ « interroger le rôle du musée dans la société et sur un territoire. Nous on a une approche classique en France qui a longtemps dominée, qui est issue de l’esprit des Lumières, de l’Encyclopédie, où on a une relation à l’institution comme étant le sachant face à un public qui est forcément l’apprenant ».

Comme l’indique le conservateur, cette démarche est « née dans des pays où il existe une mémoire conflictuelle », notamment autour des questions autochtones. Le fait que le Port-Musée de Douarnenez se lance dans une telle démarche n’est pas anodin, cette institution ayant été elle-même au cœur de tensions dans la ville6. Le conservateur fait directement le lien avec ce moment : « l’histoire du Musée ici est compliquée et justement c’est l’un des enjeux du positionnement du Musée par rapport à un terme que j’utilise beaucoup, qui est la communauté. Il y a eu des conflits ici qui ont porté au paroxysme la question de l’institution et de la population. Donc nous, en fait, on est peut être un peu focalisé sur ce genre de chose, c’est fort possible, […] ça nous rend peut être un peu plus sensible sur cet aspect là ».

Un autre argument pour faire appel aux bénévoles dans un projet participatif est l’aspect financier. Comme l’indique le conservateur du Port-Musée, ce projet s’inscrit dans le cadre d’une crise économique qui amène — plus qu’à d’autres moments — à repenser la fonction des musées : « il en va de la justification même de l’existence des musées. Dans toute période de crise il y a des contractions des finances et on se pose la question de la légitimité d’intervenir sur tel ou tel domaine, sur la question de la légitimité de l’institution, sur le rayon d’action etc., donc je pense que l’on est dans un âge où les musées évoluent aussi de ce côté là ». Les bénéfices de la démarche participative sont en effet le plus souvent analysés autour de deux catégories : en terme de connaissance (coût du projet, temps consacré, nombre de personnes mobilisables) et en terme plus sociétal (amélioration rapport science/société, de la citoyenneté, empowerment) (Sauermann et Franzoni, 2015, cités par INRA 2016). C’est ainsi cette « situation d’incertitude » quant-à l’avenir des musées qui justifie le recours à une « démocratie dialogique », à une expertise pluraliste et à un désenclavement de la recherche (Callon, Lascoumes et Barthes, 2002).

Emglev bro Douarnenez : un rôle d’intermédiaire et de médiateur

Lorsque le Port-Musée a eu l’idée du projet, il a voulu « aller chercher une asso pour nous épauler, une asso qui avait déjà des réseaux et des groupes de gens mobilisables et qui serait susceptible justement d’être intéressée pour collaborer avec nous » (conservateur du Port-Musée). A côté de la Région Bretagne et du Port-Musée, le projet Marins à l’ancre est ainsi porté par l’association Emglev Bro Douarnenez. Créée en 1996, cette association fédère des individus et des collectifs autour de la valorisation de la langue et de la culture bretonnes, en proposant différents types d’animation (théâtre, cinéma, concert, cuisine, etc.). Depuis 2014, elle connaît une dynamique nouvelle avec le recrutement d’un salarié à temps plein7, ce qui lui a permis de renforcer ses activités et d’étendre son réseau au niveau local. C’est justement lorsque le nouveau salarié allait présenter l’association au Port-Musée que les membres de ce-dernier lui ont évoqué l’appel à projet de la Région Bretagne et qu’a émergé le projet Marins à l’ancre : « On travaille beaucoup en partenariat ici au musée, que ce soit avec des universitaires, avec des associations ou des choses comme ça, et à chaque projet on change de partenaire et donc à chaque fois on créé une histoire humaine, et ça c’est vachement sympa. […] Et c’est vrai que Emglev Bro Douarnenez moi je ne les connaissais pas plus que ça, et voilà on s’est rencontré, on a discuté et on a trouvé que le projet était intéressant. Alors on s’est mis d’accord […] Du coup on se fait confiance, maintenant on se connaît et je trouve que c’est presque aussi intéressant ça que le sujet » (ibid.). Du côté de la Région Bretagne, l’objectif depuis 2007 était également de travailler avec des associations locales et c’est dans ce sens que les appels à projets participatifs ont été lancés.

C’est ainsi Emglev Bro Douarnenez qui a porté le projet à la Région Bretagne, en partenariat avec le Port-Musée. L’association joue au sein de Marins à l’ancre un rôle intermédiaire, à côté du garant scientifique et du financeur, que peu de projet de ce type semblent développer. Ce rôle de médiateur entre institutions et acteurs peut être perçu ici comme l’une des clés de la réussite du projet (voir infra). De plus, cette coordination avec le Port-Musée a permis à chacun de faire participer son propre réseau, permettant ainsi la constitution d’un groupe hétérogène de bénévoles aux intérêts multiples et souvent complémentaires. En effet, Emglev Bro Douarnenez réunit davantage des membres au fort capital culturel, pour certains militants associatifs dans d’autres structures, alors que le réseau du Port-Musée mobilise au sein « des amis du Port-Musée » et de l’association Treizour des personnes davantage liées au patrimoine maritime. Comme le témoigne le salarié d’Emglev Bro Douarnenez, « on avait un frein au départ, c’est qu’on n’avait pas l’expérience de la construction d’un projet patrimonial et d’une exposition. Quelque part ça pouvait nous faire un petit peu peur, on partait de zéro. Qu’est ce qu’on fait de Marins à l’ancre ? Le Port-Musée il a expérience, il a le savoir-faire. Et au niveau technique ils ont plein de chose, connaissance du patrimoine maritime, connaissance de certaines personnes ». Ainsi, si le Port-Musée devient le garant scientifique, Emglev Bro Douarnenez permet au musée de mobiliser des bénévoles dans un réseau étendu et intergénérationnel sur la ville, alors que ce dernier offre à l’association un cadre structurel et une légitimité pour impulser un projet de collectage patrimonial. La complémentarité entre les deux associations permet aussi d’étendre le public visé. Comme l’indique le président d’Emglev Bro Douarnenez, « il y a quand même d’un côté les cultureux douarnenistes et de l’autre les anciens marins-pêcheurs qui sont des durs quoi ! Tu vois, c’est des mondes différents. Donc peut être que s’il n’y avait pas eu le Port Musée pour faire le lien entre les deux, la sauce n’aurait peut-être pas pris […]Une conférence organisée par Emglev Bro Douarnenez sur la pêche à Douarnenez, et ben les vieux marins-pêcheurs ils ne seraient sans doute pas venus. Et là ça permet de mettre dans la même salle plein de gens qui n’ont rien à voir.[…] Ca permet de casser les barrières de mondes parallèles douarnenistes ».

Les formateurs : des scientifiques ouverts aux processus participatifs

Au fil des entretiens réalisés avec les bénévoles, un autre groupe d’acteurs est apparu central dans le projet : les ethnologues qui ont formé les bénévoles à l’enquête ethnographique. Cette formation a en effet été perçue comme un évènement fondateur du groupe (voir infra). L’engagement des deux chercheurs formateurs dans le projet est ici inséparable de leur trajectoire personnelle8. La première formatrice, Julie, a collaboré avec le Port-Musée durant le projet Bertré puis, en lien avec les expositions temporaires du musée, autour d’ateliers ethnographiques avec des élèves de collège. Le second formateur, Rolland, est un ethnologue habitant Douarnenez. Spécialiste du monde maritime, il a notamment écrit un ouvrage sur les écoles de pêche ; il travaille depuis 35 ans dans l’éducation nationale. Dès 2009, il avait été contacté par le Port-Musée à la suite de la publication de son livre pour parler de l’école de Douarnenez. Il participe ensuite à quelques évènements organisés par le Musée. Les deux formateurs se rencontrent pour la première fois à un colloque et, rattachés au même laboratoire universitaire à Brest, ils entretiennent une réflexion commune autour des ateliers ethnographiques. Julie monte ainsi le projet Divers Cités, une agence de valorisation des sciences humaines et sociales créée en 2011 à Quimper avec pour objectif d’être une passerelle entre la recherche et la société civile9. Rolland contacte de son côté l’association Ethnologue en herbe10 avec qui il souhaite monter des projets d’ateliers ethnographiques dans les collèges et lycées où il travaille, pour apprendre aux élèves à faire des photos et des enquêtes.

 

Bien que rattachés à un laboratoire, tous deux ont une certaines distance avec le monde universitaire. Comme l’indique Rolland, « l’idée de faire travailler des gens qui ne sont pas forcément ou ethnologues, ou sociologues ou historiens m’a intéressé aussi. Parce que même si je suis attaché à une université de Brest, je suis de formation universitaire, je pense que le savoir local… que les gens peuvent faire leur propre ethnologie. Alors il y a bien sûr des méthodes, des façons de faire, des façons de penser, de dire qui peuvent être plus entre parenthèses “scientifiques” parce que je pense que les sciences humaines sont plutôt des disciplines à projet scientifique que des sciences. Mais il faut que les gens effectivement connaissent ». Il poursuit, « je travaille beaucoup dans la perspective d’un anthropologue qui s’appelle Alban Bensa, tu dois connaître, et Jean Bazin et toute leur équipe, que je trouve extrêmement intéressante sur cette notion de restituer ce que pensent les gens, de ne pas considérer les gens comme des “idiots culturels” mais bien comme des gens qui connaissent leur culture, qui connaissent leur environnement mais qui en même temps peuvent s’en détacher, peuvent regarder différemment, la critiquer, la juger ». Cet aspect militant se retrouve également chez Julie, « c’est un peu du militantisme de promouvoir un type de scientificité, de science différente de la science dominante, qui donne une place plus à la logique de la découverte, à l’Autre, qui ne met pas dans des cases, à l’exploration. Moi c’est celle qui me plaît et donc je leur dit que ça existe, qu’on peut le faire et allez-y gaiement ! Vous allez découvrir plein de choses, lâchez-vous, tout en respectant des règles. […] Pour moi la méthodologie d’enquête n’est pas compliquée […] Ce qui est compliqué c’est après d’engranger toute la littérature scientifique, l’analyse, les concepts, les théories etc. ».

Résumé 1 : Le cadre institutionnel du projet

– le projet s’inscrit dans une continuité historique avec le « participatif », tant au niveau régional depuis les programmes d’inventaires menés par André Malraux dans les années 1960, que local avec les réflexions du Port-Musée de Douarnenez sur la muséologie inclusive (projet Bertré en 2011) et les différents évènements organisés par Emglev Bro Douarnenez, que dans la formation du fait des projets participatifs antérieurs menés par les formateurs.

– ces expériences passées ont permis à ces institutions de repenser leur rôle dans la société et de s’ouvrir plus facilement à de nouvelles expériences.

– aux projets participatifs « classiques » associant garant scientifique (ici le Port-Musée de Douarnenez), financeur (Région Bretagne) et public (bénévoles et destinataire), le projet Marins à l’ancre se distingue par le rôle d’intermédiaire joué par l’association Emglev Bro Douarnenez, rôle qui s’est avéré central dans la coordination entre les différents acteurs. Cette nouveauté est une des réussites du projet Marins à l’ancre.

Le projet Marins à l’ancre

En 2014, la Région Bretagne lance l’appel à projets « Héritages littoraux ». Destiné aux collectivités locales et aux associations, cet appel à pour objectif de valoriser le patrimoine maritime à des fins touristiques et culturelles autour de quatre volets : connaissance (inventaires ou études de patrimoines peu connus), valorisation (programme de restauration, reconversion d’un site), conservation (restauration, mises aux normes) et innovation (expérience innovante de valorisation du patrimoine). C’est en sortant lauréat de ce dernier volet que Marins à l’ancre parvient à obtenir une subvention de 53.000 euros afin de mener son projet expérimental de « muséologie inclusive ». Le financement est destiné au fonctionnement du projet, dont le caractère innovant est reflété par son approche muséologique multi-institutionnelle en réunissant différents acteurs (bénévoles, scientifiques, associatifs, écrivain, musée). L’aspect inclusif tient ici dans le travail de collectage et de traitement de fonds d’archives par des équipes de bénévoles, avec pour objectif une diffusion et une vulgarisation scientifique. Comme l’indique Valentine, de la Région Bretagne, l’intérêt d’un tel projet est « le côté très expérimental. C’est quelque chose que l’on n’a pas encore vu, c’est-à-dire qu’il y a un aboutissement, on voit bien ce à quoi on veut aller, mais il y a une démarche qui est neuve et qui peut être justement totalement reproductible. En fait c’est ça qui nous a séduit. C’est-à-dire que c’est vraiment une optique qu’aujourd’hui on ne trouve pas beaucoup dans l’univers des musées. […] Parce que aujourd’hui dans les réflexions que l’on a sur le Musée du 21ème siècle, on se rend compte que le visiteur il n’est jamais pris que comme le visiteur, alors qu’en fait nous on cherche aussi à rendre les gens acteurs ». Le projet se construit ainsi autour de deux thèmes (cafés de marins et école de pêche) et de deux méthodologies (collectage et archivage).

Le café de marins : une thématique patrimoniale nouvelle et fédératrice

Dans les années 2000, une famille de Douarnenez souhaitait offrir les toiles du café familial à la ville de Douarnenez. Dans ce cadre, le conservateur du musée avait été invité à rencontrer la famille. Sans savoir à quoi s’attendre, ni s’intéresser aux cafés comme objet patrimonial, alors qu’il discute avec la famille, la femme du couple lui « transcrit un souvenir affolé de la première fois où elle rentrait dans ce café. Un sentiment de répulsion etc., mais dans quel milieu elle était quoi ! Elle me parle de la sciure qui était partout sur le sol, des gens qui étaient quand même un peu avinés au bord du café et elle était là en train de se dire “c’est ma belle famille quoi !!!” [rire]. “Au secours !” [rire] C’était encore très présent. Et au même moment le Monsieur enchaîne sur les cafés à Douarn’ et me dit “mais les cafés à Douarn’ c’était formidable ! Il y en avait partout ! Il y avait de la vie !” [rire]. Et voilà, là il y avait deux souvenirs complètement opposés, complètement différents, et je me dis “mais c’est quoi cette mémoire! C’était quoi un café, dans les années 1950, à Douarnenez ?” ». De là, le conservateur découvre la fonction sociale du café de marins, comme lieu de paie et de recrutement, une banque pour les bateaux et les familles. Il poursuit, « et je me rends compte que ce monde là avait complètement disparu et que j’avais devant moi deux témoins de quelque chose qui n’apparaissait plus dans la géographie de la ville. […] Et c’est comme ça que de l’histoire des cafés ce projet est né. Le sentiment qu’il y avait presque un danger immédiat de disparition d’une mémoire […] qu’il est temps d’aller chercher parce que dans vingt ans plus personne n’aura souvenir de ces cafés des années 1950, 1960, pour ne pas parler de ceux qui étaient plus anciens encore ». Dans une ville où le passé maritime a été largement patrimonialisé (Le Boulanger, 2000), l’étude des cafés de marins répond ainsi à un manque comme l’indique Stéphane, collecteur bénévole du projet et spécialiste du patrimoine maritime : « c’est vrai que depuis vingt-trente ans tout ce qui concernait les bateaux a été un peu étudié, mis en scène, que ce soit à travers des éléments comme le Chasse-Marée11 ou les Fêtes Maritimes12, mais on ne s’est pas énormément occupé du côté social des choses, de son application à terre, de son application dans la ville de Douarnenez, des restes des cafés et de ces lieux sociaux qui ont été totalement abandonnés et auxquels personne n’y a prêté attention ». Comme en rigole le conservateur du Port-Musée, « oui c’est magique et en même temps c’est évident ! Tu te dis “mais comment ça se fait que personne l’ait fait avant !” [rire] ». Le projet émerge donc avec l’objectif de recueillir des témoignages sur la fonction sociale et économique des cafés de marins, depuis le début du 20ème siècle jusqu’aux années 1970-80 et l’arrivée du chèque qui bouleverse leurs fonctions initiales, les faisant davantage se tourner vers une dimension plus touristique ou de loisir. Il s’agit aussi de cartographier les très nombreux anciens cafés aujourd’hui disparus.

L’école de pêche : un travail d’archivage inédit et une publication interdisciplinaire

Tout comme la partie sur les cafés de marins, celle consacrée à l’école de pêche est née d’un « sentiment d’urgence ». Comme l’indique le conservateur du musée, « quand je suis arrivé au musée je me suis rendu compte qu’il y avait un fond archivistique dans les réserves qui s’appelait école de pêche, avec des bancs de tests de machines, des trucs comme ça. Donc je ne savais pas trop quoi en faire en fait, mais ce papier là c’est ce qu’on appel le papier machine et ça ne se conserve pas, on le sait. Donc il faut rapidement s’en occuper si on veut en tirer quelque chose. Donc il y avait ça d’un côté. Et de l’autre côté, il y avait la rencontre avec un groupe de bénévoles dont s’occupe [la médiatrice] qui travaille au musée, qui sont des anciens pêcheurs, des anciens marins et qui ont fait cette école de pêche. Et, quand on a commencé à leur parler de cette école de pêche je me suis rendu compte que c’était un souvenir chez eux très présent. C’était une base de leur vie qui était un moment initiatique quoi, véritablement, je ne sais plus comment on appelle ça en ethnologie, un rite de passage ». Les membres du Port-Musée partent ainsi à la rencontre d’ Abel Meter, directeur de l’école de pêche de Douarnenez durant 20 ans, avec qui ils font un premier entretien qui leur a donné l’envie d’approfondir le thème.

Photo 1: La numérisation des archives de l’école de pêche par les bénévoles, au Port-Musée (photo C. Le Gouill, 2018)

Il a ainsi semblé évident au Port-Musée de relier les deux thématiques — les bistrots et l’école de pêche. « Les deux sujets sont différents l’un de l’autre, mais il me semblait que dans les deux cas on avait à faire à une mémoire qui était peut-être en passe de disparaître et qu’il était le temps de s’en occuper ». (conservateur du Port-Musé). De plus, les deux objets d’étude permettaient de mobiliser deux approches participatives distinctes. Alors que sur la partie café c’est le collectage oral qui est valorisé, sur la partie école de pêche c’est le travail d’archive, même si des collecteurs ont réalisé également des entretiens auprès d’anciens élèves et professeurs. Le volet de l’enquête sur l’école de pêche ne parvient cependant pas à mobiliser autant de monde, notamment la partie « archive » dont les deux bénévoles proviennent du réseau du Port-Musée à travers l’association partenaire Treizour. De ce fait, ils se sont sentis parfois isolés du projet. Comme l’indique la médiatrice du Port-Musée, « je fais ma rabat-joie du groupe, je ramène toujours l’école de pêche, je leur dis “attention il y a l’école de pêche aussi, il ne faudra pas oublier”. C’est un projet qui tient sur deux pieds. Alors ils le disent, “les cafés c’est quand même plus fun” ». Malgré cela, quatre collecteurs ont décidé se s’intéresser en priorité au thème de l’école de pêche, que ce soit pour son aspect « sensible », du fait que l’un d’entre eux a un membre de sa famille qui y est allé, ou du fait de ne pas se sentir légitime sur la thématique des cafés (voir infra). De plus, une autre difficulté est liée à la démarche même du travail d’archivage qui conduit à une méthodologie plus réglementée et encadrée par le Port-Musée — engendrant pour ces bénévoles une relation distincte et moins autonome vis-à-vis de l’institution. Pour Josiane, bénévole aux archives, « c’est plus [la responsable des archives du Port-Musée] qui dirige le boulot, un peu, c’est même complètement elle qui dirige le boulot. On est les petites mains, même si on a des idées. L’accès aux archives est très très réglementé ». Le rapport à la finalité du projet est également distinct de l’autre volet de Marins à l’ancre du fait que dans ce cas-ci il donnera lieu à l’écriture d’un livre, rédigé conjointement par un ethnologue, une historienne et un écrivain, sur les bases des matériaux récoltés par les archivistes et collecteurs bénévoles. La collaboration avec les scientifiques est ainsi plus étroite.

Résumé 2 : Le projet Marins à l’ancre

– le projet Marins à l’ancre est sorti lauréat de l’appel à projets « Héritages littoraux » lancé en 2014 par la Région Bretagne, dans la catégorie « innovation » (expérience innovante de valorisation du patrimoine).

– Il vise à promouvoir deux aspects peu connus de la culture des marins « à terre » : l’école de pêche de Douarnenez et les cafés de marins. Le premier doit permettre la publication d’un livre à partir d’un travail d’archivage et de collectage de témoignages ; alors que le second a pour objectif final une exposition au Port-Musée.

– Le travail de collectage et d’archivage est réalisé par une équipe de bénévoles, secondée par des professionnels pour la réalisation du livre (historienne, ethnologue, écrivain) et de l’exposition (Port-Musée).

– Le thème du café a attiré plus de bénévoles pour son aspect « sensible » et moins formel que celui de l’école de pêche dont l’aspect archivage s’est avéré plus contraignant.

Les bénévoles : une hétérogénéité traversée par une même approche « sensible »

Lors de son enquête en ligne, l’INRA a montré que les motivations principales des participants à des processus de recherche participative étaient la production de connaissance (30%), la passion (20%), l’aspect social (20%), l’activité professionnelle (10%) ou encore la curiosité (10%). Si seulement 5% des enquêtés y indiquent être « personnellement concernés », dans le cas de Marins à l’ancre l’aspect « sensible » du projet a été la première motivation du Port-Musée pour lancer le projet et pour les bénévoles de l’intégrer, même si les entretiens auprès des bénévoles ont montré que les aspects professionnel et passionnel étaient également fortement présents. On se retrouve dans notre cas avec deux lignes de partages distinctes structurant la relation des bénévoles au projet : une distinction entre membres ou pas de la « communauté » (aspect sensible) et une distinction entre les plus « amateurs » et les plus « connaisseurs » (aspect professionnel).

Les bénévoles en quelques chiffres

Marin à l’ancre réunit une trentaine de bénévoles, dont une vingtaine est active sur l’ensemble du projet. Nous en avons rencontré quatorze pour des entretiens. Ces entretiens ont révélé une hétérogénéité au sein des bénévoles (voir tableau 1), même si on note chez la grande majorité un engagement associatif ancien et un certain capital culturel. Sept ont entre 30 et 45 ans et sept plus de 45 ans. Chez ce premier groupe, trois sont nés à Douarnenez et trois y habitent depuis moins de dix ans. Ils sont six à s’être engagés dans le projet de par leur lien avec Emglev Bro Douarnenez ou du fait d’un réseau d’interconnaissance avec celui-ci et son salarié (lui aussi compris dans cette tranche d’âge et né à Douarnenez). Deux sont petits-fils de mains-pêcheurs, un a eu une membre de sa famille tenancière de café. Pour les autres, l’aspect sensible du projet est principalement dans la valorisation/découverte de la culture locale. Trois d’entre eux ont une formation universitaire, une en journalisme et aucun n’a de formation dans le patrimoine. Il s’agit du groupe où la formation à l’enquête à l’ethnographique a reçu un accueil plus partagé, même si tous l’ont jugée importante.

Chez les plus de 45 ans, quatre sont nés à Douarnenez et trois y habitent depuis plus de dix ans. Quatre sont fils/petits-fils de marins-pêcheurs et deux de tenancière de café. Ce groupe se distingue par un engagement dans le projet plus diversifié, trois sont issus du réseau d’Emglev Bro Douarnenez, deux du réseau du Port-Musée (association Treizour) et les autres ont intégré le projet davantage par souhait personnel même si Emglev Bro Douarnenez ou le Port-Musée ont pu jouer un rôle. Leur formation est aussi plus disparate, une a une formation universitaire, deux dans le patrimoine (absent chez les plus jeunes) et un en journalisme. Il s’agit du groupe où l’approche scientifique a eu le plus grand succès, certains regrettant même que la formation n’ait pas été plus poussée ou qu’elle ne se soit pas accompagnée d’un plus important suivi tout au long du projet. C’est en effet dans ce groupe que l’on retrouve les profils plus « connaisseurs », notamment chez ceux ayant reçu une formation dans le patrimoine. Ce groupe comprend aussi plusieurs retraités, lesquels ont donc plus de temps à consacrer au projet. Ainsi, ce groupe se distingue de l’autre par un vécu plus important, un regard plus poussé sur le patrimoine, une approche moins ludique13 et parfois un plus grand temps disponible à consacrer au projet.

Tableau 1 :un groupe bénévole hétérogène

Age 30-40 ans 4
40-50 ans 3
50-60 ans 2
60 ans et + 5
Lien avec Douarnenez Né(e) à Douarnenez 6
Habite depuis plus de 10 ans 5
Habite depuis moins de 10 ans 3
Mise en contact Emglev Bro 9
Port-Musée 2
Initiative personnelle 3
Formation Patrimoine 2
Universitaire 4
Journalisme 2
Autre 6
Aspect sensible Famille de marins 6
Famille de patronne de bistrot 3
Famille ayant été à l’école de pêche 1
Autre 6
Rapport à la formation en ethnologie Très bien 9
Trop professionnel 3
Pas assez de suivi 2

Distinctions entre les Douarnenistes et les non-Douarnenistes

L’aspect « communauté » défendu par le Port-Musée par son approche anglo-saxone trouve un écho particulier dans la ville de Douarnenez, laquelle connaît une identité forte et de multiples représentations autour de son passé maritime (ancien grand port de pêche), politique (première ville communiste de France) et festif (son carnaval) (Le Boulanger, 2000). La distinction entre Douarnenistes et néo-Douarnenistes14 apparaît ainsi clairement dans les entretiens auprès des bénévoles. De par l’approche « sensible » valorisée, le choix de l’engagement dans le projet dépend des trajectoires personnelles des individus et de leur relation à la ville. La moitié des bénévoles rencontrés ont ainsi eu des parents ou des grands-parents marins-pêcheurs, formés à l’école de pêche ou tenancières de cafés, certains ont fréquenté ces cafés petits (parfois ailleurs qu’à Douarnenez). Par exemple, Laurent, petit-fils de marin-pêcheur, décide de participer au projet après avoir assisté à la projection du film L’étoile d’or15 au cours du premier évènement lancé par Marin à l’ancre pour présenter le projet à la population et attirer les bénévoles : « au début je n’étais peut être pas sensé faire Marins à l’ancre, j’étais allé voir comme ça. Et dans ce film j’ai vu le café du port, les vieux en train de jouer aux cartes, dont mon grand-père, dans le film. Donc là ça m’a incité à participer au projet.[…] J’étais habitué à ce genre d’ambiance. Le mercredi, je n’avais pas école et j’allais avec mon grand-père faire le tour des bistrots » (Laurent, bénévole). Un seul, Pascal, a eu un membre de sa famille à l’école de pêche : « j’ai mon grand-père qui était marin mais il n’est pas passé par l’école de pêche mais j’ai le parrain de ma mère lui il y a été en tant qu’élève et aussi en tant que professeur quand il était en retraite, juste avant que l’école de pêche ferme il donnait des cours. Donc après je lui en ai parlé “tiens on fait un projet là et on parle aussi de l’école de pêche”, et du coup on a vachement parlé. J’avais un lien tu vois, j’avais quelqu’un de ma famille qui connaissait le thème et du coup je ne partais pas de zéro ». Ces « fils de » et « petit-fils de » correspondent aux « porte-paroles » évoqués par Christine Audoux et Anne Gillet (2011), dans leur étude sur la recherche partenariale, pour définir ceux qui ont pour fonction de garantir « que les partenaires impliqués représentent une communauté plus grande ». Dans le cas de Marins à l’ancre, plus que de porte-paroles il s’agit davantage d’acteurs légitimant le projet. Ils sont cités dans la presque totalité des entretiens comme les garants d’une certaine éthique et de l’aspect sensible du projet.

Chez les autres bénévoles, la thématique du café renvoie également au partage d’une culture locale de par la relation de chaque bénévole avec l’objet lui même. Pour Anthony, « les bistrots font partie de notre identité les bistrots et comme toutes les identités il y a une partie qui est sans doute issue de faits historiques, une autre partie qui est sans doute fantasmée, qui est rêvée ». Pour certains néo-Douarnenistes, l’aspect sensible du café renvoie également au processus d’intégration à la ville : « c’est incontournable ! Ce qui se passe dans les bistrots à Douarnenez c’est tellement bien ! Et puis moi quand je suis arrivée à Douarnenez dans les années 1975 le lieu incontournable c’était chez Micheline [nom de la patronne d’un café du port] et puis donc avec des grands souvenirs de rigolades, de chants [rire]. Voilà moi je suis restée à Douarnenez grâce à l’ambiance. […] On a ça en nous ! » (Jeanine, bénévole).

Tous les bénévoles qui travaillent sur les cafés ne sont pas nés à Douarnenez, mais plusieurs néo-Douarnenistes ont fait le choix d’écarter ce thème ne se jugeant pas assez légitimes sur cette question. L’approche sensible défendue au sein du projet peut ainsi avoir un effet excluant envers les personnes qui, n’ayant cette même histoire vécue avec l’objet d’étude et donc le même « capital d’autochtonie » (Retière, 2003), ne se sentent pas légitimes pour se l’approprier complètement, notamment sur l’aspect identitaire et quasi « sacré » des cafés. L’une des bénévoles explique ainsi son choix pour le thème de l’école de pêche « précisément parce que je ne suis pas de Douarnenez et que je n’ai pas connu les bistrots petites avec mon grand-père, je ne me sentais pas légitime de faire l’histoire des bistrots. Enfin, il fallait que ce soit quelqu’un qui les ait fréquentés en long en large en travers depuis tout petit […] Je pensais que ceux qui avaient grandi à Douarnenez et qui avaient vraiment cette histoire là étaient prioritaires sur les autres » (Nolwenn, bénévole). Dans ce cas-ci, les néo-Douarnenistes valorisent l’aspect sensible dans d’autres domaines, notamment par leur passion16 et leurs trajectoires professionnelles, comme pour une ancienne enseignante qui a travaillé sur l’archivage pour l’école de pêche : « tout ce qui est archive ça m’intéresse bigrement aussi et puis tout ce qui est formation, la formation continue, tout ce qui est par rapport à notre métier quoi, d’enseignant. Pour moi c’est une dimension importante, d’aller voir comment ça se passe. En plus, il y a une certaine familiarité entre par exemple les archives d’un établissement d’enseignement ou de formation, bon on n’est pas perdu, on sait ce que c’est un dossier de stagiaire ou d’élève, des emplois du temps tout ça on connaît. Donc on est assez vite dans la proximité par rapport à ce genre de documents » (Christine, bénévole).

Pour les néo-Douarnenistes, la participation au projet est aussi un moyen de s’intégrer à la ville, comme l’indique Josiane : « je ne suis pas du tout ni Bretonne ni Douarneniste, et donc ça me fait des petites racines, je pose un peu mes valises ». Nolwenn poursuit, « c’est une manière de rattraper le fait de ne pas être une vraie Douarneniste [rire]. […] Quand tu viens t’installer à Douarnenz tu essaies de savoir ce que c’est la vie du port, ce qui fait le lien entre les gens, la vie qu’ils ont eu, avec leurs parents, leurs grands-parents, leurs boulots, tout le contexte en fait. Je trouvais ça chouette ». Comme l’indique une historienne originaire de Douarnenez et membre du projet Marins à l’ancre, l’intégration des nouvelles populations s’est souvent faite à travers l’engagement associatif, « c’est très révélateur d’une volonté forte d’intégration de la population. Tu investis les structures existantes et tu te légitimises. Tu légitimes ta présence et ton action dans le lieu. Et ça c’est caricatural des années 1970, sur le groupe Festival [de Cinéma17], et que tu retrouves dans les associations culturelles, festives. Et l’appropriation de l’image de Douarnenez ville festive et tout, ils se l’approprient énormément. […] Et du coup je pense que ces mouvements de néo qui s’approprient créé aussi l’évènement ». De nombreuses associations et manifestations culturelles de la ville sont en effet créées par des personnes non-originaires de celle-ci, mais qui trouvent dans les représentations qu’elle véhicule un élément déclencheur pour investir ses structures ou initier de nouveaux projets et contribuent donc à reproduire ses représentations (Le Gouill, 2004).

Distinctions entre les « connaisseurs » et les « amateurs »

Si le rapport au territoire est un élément de distinction au sein du groupe, un autre est aussi l’élément « sensible » découlant de la profession exercée par les bénévoles. Si la profession peut orienter le choix du sujet entre le café et l’école de pêche, elle introduit également une distinction au sein des bénévoles entre les plus « connaisseurs » et les plus « amateurs ». Alors que les premiers peuvent critiquer parfois l’aspect ludique de certaines activités et voient dans l’absence d’outil analytique un frein à leur propre démarche, les collecteurs se déclarant plus volontiers « amateurs » donnent de leur côté une priorité au collectage sur le résultat de l’enquête (voir infra). Cette hétérogénéité des bénévoles est également évoquée dans le rapport de l’INRA, lequel distingue notamment les acteurs bénévoles s’engageant à titre professionnel, ceux s’engageant parce qu’ils sont directement concernés par l’étude et enfin les amateurs passionnés qui s’engagent par intérêt personnel (INRA, 2016).

La position de ces « connaisseurs » est un « un peu floue » comme l’indique Stéphane. Ils ont l’impression parfois de perdre leur temps lors des réunions où chacun revient davantage sur le vécu de son expérience d’entretien que sur ses perspectives d’analyse. Un manque de professionnalisme peut même être reproché aux autres collecteurs : « je ne suis pas persuadé jusqu’à quel point on peut le faire de manière amateur. Et là on a eu une formation avec des professionnels, mais je pense qu’il faut toujours essayer d’être un peu professionnel sans forcément l’être, du moins dans sa démarche » (Stéphane, collecteur). Ce « flou » de leur positionnement, accompagné d’un manque ressenti d’encadrement pour mener à bien le travail d’analyse, engendrent parfois une certaine frustration. D’autres sont cependant parvenus à trouver leur place en se situant à mi-chemin entre le collecteur bénévole et l’expert. Pour Manon, l’engagement dans un projet associatif se fait à partir des compétences pour apporter un plus ; ainsi « quand il m’a dit qu’il y avait cet aspect là dans le projet et ben là je lui ai dis “ah ben là oui ça m’intéresse d’autant plus parce que là je vois dans quoi je peux m’intégrer […] J’ai envie de développer ces compétences là pas uniquement dans un cadre professionnel, sachant que le fait de pratiquer de manière associative va certainement m’aider dans le cadre professionnel aussi parce que j’aurai expérimenter des choses. Tout ça se nourrit mutuellement ». C’est aussi une double position qui a permis à certains — contrairement à d’autres « connaisseurs » — de trouver plus facilement leur place au sein de l’équipe.

Une hétérogénéité complémentaire

Si cette hétérogénéité a pu générer des frustrations (voir infra), elle est néanmoins perçue comme un élément moteur du groupe et source de complémentarité entre les bénévoles18. Comme l’indique Pauline, « en parlant entre nous il y avait des choses qui ressortaient durant les réunions, dans les moments d’échange, où tu vois il y avait quelqu’un à côté de toi qui disait “mais non à cette époque c’était ça !” “Ah oui je l’ai entendu dans mon entretien !” “Ah oui moi aussi !”. […] Les différences d’âge dans le groupe sont bien, chacun apporte son expérience, ses connaissances et son vécu ». Une complémentarité apparaît par exemple entre les personnes aux compétences techniques et celles ayant des savoirs plus pratiques ou historiques, ce qui s’est avéré particulièrement important pour la création de commissions autour d’aspects spécifiques du projet (cartographie, sélection des entretiens, etc.). Comme l’indique Manon, « il y a des gens qui ne vont peut-être pas participer à la fabrication sur l’aspect technique, mais ils ont d’autres connaissances sur le sujet qui peuvent suggérer des choses ». La grande majorité des interviewés soulignent ainsi l’importance de réaliser les entretiens en binôme, voire en trinôme dans certains cas, justement pour cette dimension collective. Ainsi, pour Pierre « ça met plus de temps en binôme de bosser, mais c’est plus enrichissant quoi. Parce que comme je te le disais tout à l’heure, dans une interview tu vas peut-être oublier quelque chose toi, l’autre ne va pas l’oublier et donc du coup il va rebondir sur le truc. Tu vas avoir une écoute qui est plus riche, une meilleure écoute. Et en même temps ça permet de te rassurer ».

Cette complémentarité entre les bénévoles est bien exprimée par Christian qui, du fait de son origine douarneniste, de son ancienne activité professionnelle (journalisme) et de la retraite qui lui offre du temps libre, adopte la position du « passeur » : « je me suis dis qu’ils auraient peut-être besoin d’un passeur. De par mes connaissances, parce que tous les gens qu’on interview ils m’ont connu en culotte courte donc je pouvais être utile pour établir des contacts et pour faciliter les contacts. […] Donc facilitateur, facilitateur de contacts parce que la plupart des gens je les connais. Et donc le rôle de passeur aussi parce que j’ai envie que ça se transmette, donc il y avait d’abord cette idée, et ensuite le fait que je pouvais être utile pace que c’est mon métier. Donc il y a deux aspects dans le côté passeur, l’envie que ça se transmette et l’aide que je pouvais apporter dans la transmission par les contacts ». Il a donc besoin de justifier sa présence, qui doit être « participative » et « sensible » de par son inscription au territoire et à son histoire, mais qui doit aussi servir d’encadrement pour les autres bénévoles de part sa profession. Si le « sensible » n’était pas présent, sans doute n’aurait-il pas perçu sa présence comme légitime et peut-être ne l’aurait-elle pas été non plus pour les autres bénévoles. Comme il le dit lui-même « il faut que je fasse attention à ne pas passer pour le vieux con ! Parce que “celui là il sait tout” etc. […]. Parce que tu parles à des professionnels, tu peux partager, critiquer etc., mais en associatif il faut faire très attention parce que tout le monde est bénévole ».

La présence d’ « érudits locaux » dépositaires de la mémoire locale a été révélée comme un frein au processus participatif par l’INRA (2016). Dans le cas de Marins à l’ancre, cette complémentarité a été facilitée par l’aspect populaire du café et le fait qu’ « il n’y a pas d’historiens des bistrots, tout le monde est au même stade donc du coup il n’y a pas de hiérarchie au sein des collecteurs » (Anthony, collecteur bénévole). Les entretiens auprès des bénévoles soulignent cependant que cette complémentarité est à l’avantage des « amateurs » qui se trouvent réconfortés par la présence des « connaisseurs » : « du coup d’avoir ce groupe là, t’échanges et ça fait ressortir les points forts mais du coup de manière orale, de manière assez agréable, sans être chez toi à bosser dessus. Tu vois ça sort un peu du truc officiel et c’est mieux pour tout le monde » (Pauline, bénévole).

La question de la légitimité

Cette question de la complémentarité est inséparable de celle de la légitimité que se donnent les bénévoles, que ce soit envers les autres membres du groupe, le public destinataire (les habitants de la ville) et les institutions. On note ainsi dans les divers entretiens auprès des bénévoles la création d’une connaissance « partagée » ou « distribuée » qui légitime donc la présence de chacun : que ce soit par son histoire vécue, ses relations, sa profession, chaque personne a un savoir à apporter aux autres. Cette complémentarité a été rendue possible par l’hétérogénéité du groupe, mais aussi par la présence des « connaisseurs » et un capital culturel diversifié au sein des bénévoles.

Les entretiens auprès des bénévoles ont également montré que la recherche de la légitimité auprès du public est omniprésente au sein de Marins à l’ancre. C’est ainsi que la présence de petits-fils de marins est mentionnée dans la presque totalité des entretiens du fait que, comme ils sont de la famille des « anciens », ils ne vont pas aller contre eux ni contre leur mémoire. Ils permettent donc de créer une passerelle entre le projet et le public. Comme les porte-parole de Audoux et Gillet (2011), ils se caractérisent par leur capacité à « parler de manière légitime au nom d’autres » et donc de mobiliser des alliés et de fabriquer des « arènes de légitimité » dans lesquelles les partenaires peuvent faire valoir les résultats et leur implication. Comme l’indique Pascal, « moi je partais de zéro mais j’avais quelqu’un [de ma famille, ancien de l’école de pêche] en soutien qui pouvait m’expliquer quand j’avais des trucs, quand je faisais des lectures, quand on est novice dans le domaine des fois ce n’est pas évident. Donc il m’expliquait, ça devenait plus intéressant d’avoir quelqu’un comme ça. ». Ainsi, si l’aspect sensible est à la base du projet, il est aussi en partie source de sa légitimité. C’est dans ce sens que les évènements de restitution au public jouent un rôle fondamental pour les collecteurs rencontrés en réunissant les bénévoles, les « anciens » et la population19. Cet aspect sensible a des répercussions sur la démarche adoptée par les bénévoles. Ils n’ont ainsi pas choisi prioritairement d’aller interroger les collectés proposés par le Port-Musée, mais au contraire ils les ont choisis dans leur réseau proche. Cela montre à la fois l’aspect « sensible » du projet — le projet est l’occasion de prendre du temps avec des gens avec qui on n’a peu le temps d’échanger — mais aussi une volonté de rompre avec la mémoire officielle : l’approche muséographique par des non-professionnels s’accompagne ici de la recherche d’une mémoire auprès des personnes souvent exclues de la mémoire officielle.

Cet aspect sensible porte cependant le risque d’une surinterprétation voire de la construction d’un aspect fantasmé du café. La conscience de la mutation des aspects économiques et sociaux de la ville de Douarnenez — les fils et petits-fils de marins-pêcheurs ne le sont plus aujourd’hui — permet néanmoins de recentrer le café dans le contexte de son époque. Ainsi, si les thèmes de recherche choisis par les bénévoles lors des premières journées de formation étaient proches de la vie du café actuel (fête, drague, etc.), les entretiens réalisés avec les collecteurs ont montré que ceux-ci avaient pleinement conscience de la rupture entre le café d’aujourd’hui et celui d’autrefois. Comme le dit Anthony, « notre bistrot d’aujourd’hui, je ne vais pas dire qu’il n’a plus grand chose à voir avec le bistrot d’avant, mais c’est le résultat d’une mutation. Avant c’était un lieu de travail, de rencontre, et ils fermaient tôt les bistrots. Il n’y avait pas de musique, c’était que les gens qui rentraient de la pêche […]. Alors du coup les gens ont une culture de leur travail qui était très forte, qui était une culture politique peut-être, qui était une culture de travailleurs. Maintenant ce n’est plus pareil, c’est des bandes de potes […] Là maintenant les bistrots de Douarn’, quand on les fréquente, c’est plus des bistrots festifs, touristiques ».

Résumé 3 : L’importance d’un groupe bénévole hétérogène

– la collaboration entre plusieurs institutions (Port-Musée, Emglev Bro Douarnenez) a permis la constitution d’un groupe de bénévoles hétérogène aux intérêts, savoirs et expériences multiples et souvent complémentaires.

– l’aspect sensible est à la base de l’engagement bénévole, mais il peut aussi être excluant pour ceux n’ayant pas le même vécu des lieux, qui se tournent dès lors vers d’autres aspects sensibles (profession, passion, etc.) pour trouver leur légitimité

– l’hétérogénéité peut cependant engendrer des frustrations du fait que tous les membres n’ont pas le même temps à consacrer à l’étude ni les mêmes objectifs (voir infra)

– il est ainsi important de prendre en compte l’hétérogénéité du groupe pour construire le projet, en tenant compte des envies et des compétences de chacun pour les mettre au profit du collectif.

Ethnographie du processus participatif

Tout comme les études pionnières de Sherry Arntein (1969) des différentes typologies du processus politiques participatifs, le domaine de la recherche a également produit son lot d’analyses pour décrire la grande diversité des processus de recherche participative, depuis le simple rôle de la population dans le recueil de données aux projets plus aboutis où elle participe à leur analyse. Muki Haklay (cité par INRA, 2016) a ainsi déterminé quatre niveaux de participation : 1/ « Crowdsourcing » où la population contribue au projet comme « capteurs de données » ; 2/ « Intelligence distribuée » où elle contribue à l’interprétation de données ; 3/ « Science participative » où elle participe à la définition du problème et à la collecte de données ; 4/ « Collaboration complète » où la recherche est collaborative pour l’ensemble de ces différentes phases20. A l’origine, Marins à l’ancre a pour vocation à correspondre à ce dernier niveau et de faire des usagers non plus des « consommateurs passifs » mais des « participants culturels » (Simon, 2009). Comme l’a montré Nina Simon, pour qu’un projet de recherche participative soit efficace il ne s’agit pas uniquement d’une question d’envie, mais aussi et surtout une question de design, c’est-à-dire d’instauration d’outils et de techniques propres.

Pour analyser le design de Marins à l’ancre, nous partons de l’état des lieux de la recherche participative de l’INRA (2016), lequel pointe une liste de problèmes récurrents aux projets participatifs : difficulté à mobiliser les acteurs sur la durée (chercheurs, amateurs, public plus large) ; difficulté dans l’analyse et l’interprétation des données du fait de l’hétérogénéité des acteurs et des sources ; difficulté de coordination entre des acteurs aux logiques, valeurs et cadres d’action différents. Sept principes pour améliorer les sciences participatives ont ainsi été proposés par l’INRA. A partir de ceux-ci et des entretiens réalisés avec les différents acteurs du projet, nous présentons maintenant une analyse plus fine de Marins à l’Ancre autour de plusieurs axes, en se focalisant sur les réussites du projet, sur certaines difficultés et les éventuelles solutions qui ont pu être apportées pour les dépasser.

La formation à l’ethnologie

Les projets participatifs lancés par la Région Bretagne comptent une formation à l’inventaire. Comme l’indique Valentine de la Région Bretagne, « c’est une formation à l’utilisation de l’application, qui est très simple, en général en une heure ou deux les gens ont compris comment ça marche. Donc, moi je me déplace dans les territoires où on a un partenariat, je fais un “cours” entre guillemets sur la lecture du bâti, c’est-à-dire que je leur dit “voilà ce qu’il faut regarder quand vous êtes devant une maison” et quels éléments vont vous aider à la dater […] Donc en gros je vais une journée, une matinée de cours magistral on va dire, et l’autre demi-journée est consacrée au terrain, c’est-à-dire que l’on va avec la tablette et on fait du terrain et on fait des premières fiches ensemble ». Dans le cadre de Marins à l’ancre, la formation est quant à elle beaucoup plus poussée. Elle est réalisée par deux ethnologues et un collectif spécialisé dans l’archivage sonore. Elle a réuni une vingtaine de bénévoles durant cinq journées, étalées sur plusieurs mois, autour de différents axes :

  • .jour 1– initiation à la démarche ethnographique, problématisation du collectage et travail individuel sur les objets et problématiques souhaitées (27 février 2016)
  • .jour 2 – constitution des groupes d’enquête, initiation à l’entretien et à l’observation ethnographique (5 mars 2016)
  • .jour 3 – formation aux outils numériques et à la constitution d’un fonds d’archives sonores (12 mars 2016)
  • .jour 4 – approfondissement de la démarche d’enquête et apport d’outils théoriques en relation avec les premières expériences de collectage des stagiaires (11 juin 2016)
  • .jour 5 – approfondissement des outils méthodologiques et théoriques pour traiter les données collectées (3 décembre 2016)

Une journée était destinée à l’aspect technique de l’enregistrement (jour 3, avec l’association « Les Portes logiques »21), les autres étaient organisées par deux ethnologues autour de la démarche proprement ethnographique. Selon Julie, l’une des ethnologues formatrice, « ce qu’on voulait éviter c’est que ce soit des prédateurs de mémoire, on voulait remettre au centre la relation, c’était notre objectif pédagogique. […] On voulait qu’ils respectent les personnes enquêtées, on voulait qu’ils comprennent tous les enjeux, tous les risques. […] On voulait aussi faire passer le principe de la méthodologie d’enquête inductive, de transmettre la démarche de recherche, mais de ne pas plaquer une grille d’entretien, d’être à l’écoute ». La formation était ainsi destinée à former les « profanes » aux savoirs « experts », même si en retour les ethnologues indiquent que cette formation leur a permis de questionner leur propre démarche scientifique. Il s’agissait donc pour Julie d’introduire une certaine déontologie : « on était conscient de la responsabilité de faire sortir la méthodologie d’enquête de la fac [rire]. On ne voulait pas qu’il y ait une instrumentalisation de l’ethnologie, pour nous, pour notre éthique, notre image, notre identité professionnelle. Mais en connaissant le Port-Musée on avait entièrement confiance dans ses acteurs ». Cette démarche est confirmée par l’autre formateur, Rolland, « il fallait leur permettre en même temps de faire du collectage de leur propre histoire et de leur propre société locale, et en même temps il fallait aussi leur donner des outils méthodologiques et des cadres théoriques un petit peu poussés quand même parce que je ne voulais pas que l’on tombe non plus dans un collectage pour collecter, pour rassembler des choses, sans que l’on ne se rende compte de tout ce que cela implique au niveau de soi-même, enquêteur, collecteur, au niveau du projet et au niveau de la population auprès de qui on va restituer cela ».

Cette formation intense et poussée a été jugée par tous comme centrale dans le projet, mais elle a néanmoins reçu un retour nuancé de la part des participants. Pour les bénévoles plus « connaisseurs », le regard porté sur la formation est très positif, alors que du côté des « amateurs » il plus mesuré (pas pour tout le monde). On distingue ainsi plusieurs perceptions distinctes selon les profils des bénévoles. Pour ceux qui connaissaient la méthodologie de l’entretien, de par leur formation universitaire ou leur activité professionnelle, la formation était parfois inadaptée car Marins à l’ancre se voulait justement hors cadre universitaire, comme pour Anthony, « moi j’avais fait ça un peu à la fac, entretien semi-directif tout ça. Donc quand ça a parlé de ça pendant les formations c’était des choses que je connaissais déjà plutôt pas mal. Et après la formation elle était faite pour faire un entretien universitaire quoi et c’est bon, j’en fait des fois, ça m’arrive, mais c’est pas ça que j’ai vraiment envie de vivre moi en tant qu’acteur ». Pour ceux qui s’inscrivaient dans une démarche plus ludique du collectage, elle a été perçue parfois comme complexe, à l’image de Pierre : « oui c’était intéressant… ça a été utile. Tout ce qui est établir une thématique autour du projet Marins à l’ancre, on avait mis tous les thèmes que chacun avait envie d’étudier, on a bien vu après comment mener un entretien, comment rétablir des problématiques tout ça c’était super intéressant. Même si… comment dire… il y avait des trucs un peu longs, répétitifs, un peu pompeux, surtout tout ce qui était sur la partie on va dire pédagogique du truc. […] Tu vois, on avait tous envie de rentrer dans le vif du sujet ». Pour ceux qui se sont beaucoup investis dans le collectage et n’avaient aucune connaissance de la méthodologie elle a été très riche : « au début je voyais le collectage d’une manière un peu simple, simpliste, je ne sais pas, d’aller voir les gens simplement et de poser des questions pour voir comment ça se passait. Et puis après, quand [Rolland] nous a fait la formation on a vu qu’il ne fallait pas arriver comme ça les mains dans les poches comme moi je pensais. Il fallait quand même préparer les choses en amont, avoir dans sa tête un plan, savoir vers où on voulait aller, des choses comme ça. Il parlait de l’attitude des gens, dans la façon de s’exprimer, de qu’est ce qu’ils voulaient dire, qu’est ce qu’ils ne voulaient pas dire, pour qui, pour quoi. Moi de prime abord c’est quelque chose que je n’aurais peut-être pas fait attention » (Pascal, bénévole). Enfin pour ceux qui avaient une connaissance du monde maritime, elle a été un outil important mais parfois incomplet dans le temps : « C’était vraiment super de démarrer comme ça, on était mis dans le bain, vu que je n’y connaissais rien à l’ethnologie. Et par la suite, quand on a été lancé dans l’aventure, je me suis senti un peu démuni. J’ai fait quelques entretiens, cinq ou six, j’ai fait les fiches chrono-thématiques et ainsi de suite. Et après je me suis demandé mais qu’est ce qui va se passer ? Qu’est ce que je fais maintenant ? Qu’est ce que je peux faire de ça ? » (Julien, bénévole).

La formation a ainsi pu être jugée trop scolaire et pas assez dans le concret. C’est en effet les aspects pratiques qui ont surtout intéressé les bénévoles : « quand tu es dans l’action et dans des ateliers de pratique tu assimiles mieux les choses » (Pauline, bénévole). Il se serait aussi déroulé trop de temps entre la formation et les premiers entretiens22. Au-delà de la formation, un autre problème souvent évoqué par les bénévoles est celui de la retranscription des entretiens, entre la méthode de la retranscription complète proposée par les ethnologues mais jugée chronophage par les bénévoles, et celle des fiches chrono-thématiques proposée par le collectif d’archivage sonore mais qui en ont effrayé certains pour son aspect technique. Ces critiques ont été perçues par Julie, l’ethnologue : « j’ai cru ressentir que c’était parfois décalé par rapport aux attentes. Mais en même temps peut-être qu’il fallait le faire parce que c’était leur montrer que l’on était dépositaire aussi d’une tradition, d’une histoire, et après s’ils ne s’en servent pas ce n’est pas grave ».

Malgré certaines critiques, la formation est néanmoins perçue par tous les bénévoles comme un moment fondateur du groupe et du projet. Durant nos entretiens, tous évoquent les différentes méthodologies de l’enquête, si bien que même les plus critiques y font référence afin de se positionner et de construire leur identité au sein du projet, le plus souvent en privilégiant une approche « sensible » à l’aspect « scientifique », tout en se justifiant par la mobilisation des outils acquis durant cette formation et en les réinterprétant pour ne pas les appliquer. Il y a donc ici l’intégration d’un savoir scientifique qui permet de délégitimer ce même savoir au nom d’une vision plus sensible et moins scientifique du projet. Enfin, une chose réunit aussi bien les bénévoles plus « connaisseurs » que les plus « amateurs » : la majorité admet ne pas avoir lu les livres méthodologiques sur l’enquête en sciences sociales ni avoir préparé les entretiens en amont, préférant créer un échange plus « libre » avec la personne plutôt que d’arriver avec une série de questions structurées. Les « carnets de bord » (carnets de terrain) qui avaient été proposés aux bénévoles par les formateurs ont quant à eux eu plus de succès auprès de certains bénévoles.

Photo2: quelques livres de la bibliothèque au local des bénévoles (photo C. Le Gouill, 2018)

L’une des bases essentielles de la réussite du projet pour les participants a été la construction d’un véritable groupe. Les cinq jours de formation ont joué sur ce point un rôle central, soulevé par tous les bénévoles, tant par l’apprentissage commun que leurs mises en pratique ou les moments de partage (repas, etc.). Cette construction du groupe a également été facilitée par la méthodologie proposée par les ethnologues de travailler en groupe et en binôme. Malgré certaines libertés vis-à-vis de la formation, des règles et des méthodologies flexibles, les différentes étapes du projet ont permis de souder le groupe et d’unir ses membres autour d’un certain « contrat moral ». Comme l’indique Anthony, « Je sens qu’il y a un cadrage, le fait de devoir faire une expo au bout du compte, le fait d’être avec une équipe, tu vois c’est cadré. Mais c’est pas un cadrage scientifique stricto sensu. Tu vois c’est un cadrage semi-scientifique… qui est lié à un certain contrat moral que tu as avec les autres, le contrat moral que tu as avec ton asso à toi, avec le Port-Musée, tu es tenu par ça ». Un autre élément important de la construction du groupe a été la location d’un local, lequel a servi tout-autant de lieu de réunion, d’échanges, d’entretiens ou de repas plus festifs. Comme l’indique le salarié d’Emglev Bro Douarnenez, « la formation ça a construit le groupe. Parce qu’on s’est retrouvés plusieurs samedis d’affilés, on a mangé ensemble le midi. Après il y a aussi le local, la recherche du local. Tout le monde disait “il faut un local, il faut un local”. Le local il a trouvé sa place aussi, bon il n’a pas servi énormément, mais c’était un outil qui permettait cette cohésion du groupe et ce sentiment d’appartenance “c’est notre local”. On peut inviter des gens chez nous ». Les participants ont montré une véritable appropriation de ce local, en y déposant des livres sur le thème de l’enquête (méthodologie, monde maritime, écoles de pêche, cafés) et en y exposant sur les murs plusieurs cartes des cafés selon les périodes historiques, la longue liste des cafés avec leurs dates ainsi qu’une fresque retraçant les moments importants de la ville, de la pêche et les évènements plus sociétaux expliquant les évolutions. Ce local a également offert une visibilité au projet, en offrant aux visiteurs un premier rendu du travail réalisé (fresque, cartes, etc.).

Résumé 4 : Le rôle essentiel de la formation à l’ethnologie

– la formation à la méthodologie de l’enquête a joué un rôle fondamental pour « construire le groupe » et définir le projet et ses finalités, instituant un « contrat moral » entre tous les bénévoles et partenaires

– la difficulté de la formation est de répondre aux différentes attentes des bénévoles du fait de leur hétérogénéité

– malgré les avis divergents des bénévoles, la formation a généré une réflexibilité sur le projet et le collectage qui s’est avérée positive pour la suite du projet

– importance pour le groupe d’avoir eu son local, pour se réunir, afficher les premiers résultats, etc..

Une méthodologie flexible et souple

Alors que le document de l’INRA insiste sur une méthodologie rigoureuse — avec des normes clairement établies, une charte de bonne conduite, des appuis à l’analyse des données ou encore le respect de la déontologie scientifique — le projet Marins à l’ancre s’inscrit plutôt dans une approche expérimentale et flexible. On serait ainsi dans notre cas davantage dans la perspective proposée par Nina Simon. Pour elle, l’institution doit pouvoir promettre une participation attrayante et l’épanouissement des participants tout en fournissant des « outils de participations » faciles à comprendre et à utiliser, négociables et modifiables dans le temps selon les évolutions du projet. Ces outils doivent être le plus flexibles possibles afin que les participants puissent s’engager « quand et comment ils sont le plus capables ». Cela signifie néanmoins en contrepartie pour l’institution une part d’incertitude, tant dans l’élaboration du projet lui-même, du fait des trajectoires que choisiront les bénévoles, que dans le contenu où elle ne peut définir une cohérence générale (Simon, 2009).

Marins à l’ancre s’est ainsi construit autour d’une problématique (les marins à terre, à l’école de pêche et dans les cafés), d’une méthodologie (muséologie inclusive) et avec des finalités clairement établies (une exposition et un livre). Le processus d’enquête et de création n’avaient cependant pas été délimités ni structurés, même si la formation initiale à jouer un rôle important de cadrage des enjeux et des risques. Pourtant, comme l’indique le salarié d’Emglev Bro Douarnenez, il a fallu au cours du projet prendre des libertés avec cette formation initiale, que ce soit aussi bien pour faire avancer le projet lors de périodes de « flou » ou afin de ne pas bloquer certains participants : « je passais mon temps à expliquer aux bénévoles “on peut faire ce que l’on veut ! On n’est pas toujours obligé de demander est-ce que le Port-Musée va penser que c’est bien ou que c’est mal !”. C’étaient des questions qui sortaient dans les réunion, “est-ce que je peux faire ça ? Est-ce qu’il faut demander au Port-Musée ?”. Il a fallu petit-à-petit faire comprendre, certains ont compris de suite, que l’on avait une liberté d’action et de recherche. […] Et [le conservateur du Port-Musée] disait “mais oui, il faut y aller !”. Et dans sa tête, et pour le Port-Musée, je crois que c’était clair dès le début, c’est la base du projet, il voulait que nous nous prenions la tête à réfléchir »23 (salarié Emglev Bro Douarnenez).

Cette liberté et cette absence de règles clairement établies étaient partagées aussi bien par les institutionnels (Port-Musée, Emglev Bro Douarnenez) que par les formateurs. Paradoxalement, elle a été plus difficile à comprendre pour les bénévoles : « on pourrait être plus formel… En fait on n’a pas d’objectif, on est lâché dans la nature mais on n’a pas d’objectifs précis, donc en fait chacun bosse un peu comme il veut. Et à partir de là c’est peut-être un peu décontracté, je trouve que ça manque un peu de formalisme » (Stéphane, bénévole). On note parfois un décalage entre le cadre formel de la formation initiale — ce qui montre encore une fois l’importance de celle-ci qui a structuré les participants, même parfois inconsciemment — et la méthodologie souple du projet qui ont pu mettre à certains moments une pression sur le groupe au moment de penser le rendu final (exposition et livre). A plusieurs reprises, se sont les bénévoles qui ont lancé de nouvelles idées pour dynamiser le groupe, participant de ce fait à la construction de la méthodologie. Les bénévoles ont ainsi douté à certains moments des avancées du projet, sans se rendre compte que le « flou » qu’ils décrivent fait partie intégrante du processus de recherche. Cette liberté n’a cependant pas signifié une absence totale de règles ni de méthodologie. Cette dernière s’est construite au fur et à mesure des avancées du projet, notamment grâce à une gestion du temps et une alternance des évènements qui ont rythmé le processus : ateliers par groupes, grandes réunions collectives, émergence de nouveaux projets (TKZ, Mousses à l’ancre, etc.).

L’entretien de la motivation : les activités sur le court et le long terme

L’une des difficultés de ce genre d’initiative participative est pour l’INRA (2016) la mobilisation d’une équipe bénévoles sur le long terme. Cela est confirmé par le salarié d’Emglev Bro Douarnenez : « la gestion du temps et l’implication des bénévoles dans le temps, c’est vraiment le point, pas sensible, mais un peu compliqué du projet. Parce que chaque bénévole n’a pas le même emploi du temps et le même temps à donner au même moment pour le projet. Il y a ceux qui terminent à 19h le boulot, il y a ceux qui sont à la retraite, il y a ceux qui préfèrent les réunions le samedi matin, il y a ceux qui préfèrent le jeudi soir, ceux qui pendant un mois ont une pause et veulent travailler comme des tarés sur le projet, le mec qui veut faire pendant trois mois une pause et revenir après. Et même moi, je n’avais pas la même disponibilité car j’avais 1/3 de mon temps de travail sur le projet ».

Pour entretenir la motivation de chacun, l’INRA propose de développer des outils ludiques parallèlement aux activités principales. Au sein de Marins à l’ancre, des moments plus festifs ont de la même manière été organisés au local, mais la principale stratégie a été de multiplier les activités autour du projet principal. Comme l’indique le salarié d’Emglev Bro Douarnenez, « dès le début on avait envie de faire des actions publiques. Ce sont des actions qui sont à destination du public mais qui motivent l’équipe aussi, parce que du coup on a un rendu, on va présenter quelque choses aux gens. Et ça c’est un point qui est hyper important de mettre en place dans le calendrier de l’année. Nous on a du faire un évènement public tous les trois ou quatre mois. Qui dit évènement public dit des réunions de préparation pour le faire, du coup on peut aussi parler d’autres choses, de la construction du projet dans le fond, mais ça donne moins de lassitude qu’une réunion classique […] Quand on décide de faire le “bistrot de la mémoire”, il faut voir “quand ? On le fait où ? On invite qui ?” Tu vois on est dans l’action concrète, qui est plus excitante ». Il y a ainsi eu une alternance entre les réunions du quotidien, les projets évènementiels et les rendus qui perdurent sur le long terme (TKZ radio, le site internet). Cette dynamique permet de satisfaire les différentes attentes des bénévoles, entre ceux plus portés sur les entretiens et ceux qui souhaitent aborder la partie analytique et travailler la matière brute afin de créer des premiers rendus (montage audio, cartes, etc.). Cette dynamique a été pensée principalement par le salarié d’Emglev Bro Douarnenez qui est devenu au fil du temps le chef d’orchestre du projet. La volonté d’articuler évènements sur le court terme et évènements sur le long terme n’a pas été pensée stratégiquement au début du projet ; elle s’est construite au fil du temps grâce à un savoir-faire acquis par de nombreuses années de bénévolat dans le milieu associatif : « c’est une méthode qui ressemble vachement à ce que j’ai appris dans le fonctionnement d’une association. […] Ce sont des questions que l’on se pose toujours dans l’associatif. Tu vois La Vie en Reuz, pourquoi on fait des petites Vie en Reuz ? Parce qu’on a peur de perdre l’énergie, du coup on fait une petite pour garder l’énergie bénévole, l’implication des gens24. Ca se sont des méthodes qui sont associatives, moi je les ai vécues. Les ateliers, ont faisait ça à la Vie en Reuz. Pour essayer de faire vivre une asso » (salarié d’Emglev Bro Douarnenez).

Sur le court terme, des réunions — mensuelles, bi ou tri-mensuelles selon les périodes — sont organisées afin de favoriser la dynamique interne du groupe. Ces réunions avaient lieu dans un premier temps dans les bureaux d’Emglev Bro Douarnenez puis au local loué. Ces réunions se sont avérées essentielles pour construire le groupe et produire le savoir partagé : « en fait il faut que les gens se voient, ça créé l’émulation. […] Après on ne peut pas mettre la pression sur les gens. La seule pression qu’on peut leur mettre c’est la pression qu’ils voudront bien se mettre eux. Et pour qu’ils se mettent une pression eux, il faut qu’on se voit. Et pour qu’on se voit, il suffit de boire des coups et de manger des morceaux de temps en temps et les gens disent “tient j’ai fait ceci, cela”. Et après les gens se mettent eux-mêmes la pression » (Stéphane, bénévole). Ces réunions ont joué un rôle de vérification, c’est-à-dire qu’elles se sont transformées en un espace rassemblant « l’ensemble des pratiques qui permettent d’affirmer comme vraies des connaissances à un moment donné [où] chaque acteur va trouver chez les autres des ressources à ses réflexions et à ses analyses » et ainsi participer à la co-construction de savoirs et renforcer les identités et les légitimités de chacun dans le processus créatif (Audoux et Gillet, 2011). Ces réunions sont devenues le lieu de la confrontation des expériences des entretiens et des témoignages récoltés lors de ceux-ci, auxquelles s’ajoutent le rôle des bénévoles plus « connaisseurs » qui apportent un éclairage sur certaines données et dans certains cas peuvent les valider ou les invalider. Ces réunions ont néanmoins aussi généré certaines incompréhensions et révélé une « panique collective » durant certaines périodes du projet, comme l’indique Laurent : « on était resté ranhouenner25 encore les mêmes choses qu’à la réunion d’avant, la réunion d’avant. […] On parle d’interviewer celui-ci, cela, le temps qui manque […] il y a une espèce de panique collective des fois et puis on part de là avec plein de bonnes résolutions et puis le lendemain on ne fait pas ». Afin de dynamiser ces réunions, elles ont été rebaptisées ateliers « maintenant on ne parle plus de réunion, parce que les réunions c’est chiant, on n’avance plus. On a dit ça avec [le salarié d’Emglev Bro Douarnenez], il faut que l’on appelle ça atelier, atelier de travail » (Pierre, bénévole). Malgré tout, le bilan reste positif pour la plupart : « on a l’impression que l’on avance pas mais après on a fait quand même pas mal de choses » (Laurent, bénévole).

Concernant l’entretien de la motivation sur le long terme, Marins à l’ancre a organisé des évènements publics (voir tableau 2). Ceux-ci ont une double fonction : créer une dynamique interne au groupe pour leur préparation et présenter le projet au public pour gagner en légitimité et recruter de nouveaux bénévoles. Le salarié d’Emglev Bro Douarnenez distingue ici les rendus immédiats (événements publics ponctuels) et les rendus sur le long terme. Parmi les premiers, se trouvent l’organisation de conférence ou la projection d’un film, alors que sur le temps plus long il y a Radio TKZ et le site internet. Radio TKZ, du nom de l’ancien indicatif de Douarnenez à la radio maritime, est le nom donné à un montage d’entretiens d’une heure, mis en ligne sur internet et relayé dans les cafés du port à travers des postes radio (toujours présents dans certains cafés). Son inauguration a donné lieu à un évènement nommé « les comptoirs de la mémoire » dans un café du port. Il a permis de rassembler les bénévoles et le public autour d’une écoute d’extraits d’entretiens et d’une discussion sur les cafés de marins. Une carte était également présentée afin que le public puisse localiser les cafés d’autrefois. Le « comptoir de la mémoire » a été perçu par les bénévoles comme l’un des grands moments du projet : « ça fait quand même un moment visible et exceptionnel dans le parcours. Pas seulement pour les gens extérieurs qui pourraient se poser des questions ou à qui il faut faire connaître le projet, mais aussi à l’intérieur, pour nous, pour se réapproprier un peu le projet » (Julien, bénévole).

TKZ - Radio Bistrot

Photo 3: Affiche de TKZ Radio (élaboration Emglev Bro Douarnenez)

Une autre activité importante a été la création d’un site internet, avec l’aide du Port-Musée26. Alors que l’exposition finale du thème des cafés est pilotée par le Port-Musée et que le livre sur l’école de pêche est écrit par des professionnels, le site internet est perçu comme une « autonomie » pour le groupe pour créer sa propre analyse, laquelle pourra ensuite être réutilisée pour le livre et l’exposition. Le site internet n’était pas prévu dans le projet initial, il a été proposé par la Région Bretagne en cours de projet et connaît de ce fait un retard dans sa construction. Il a été jugé au départ comme un nouveau « stress » pour les bénévoles, puis comme un support concret et positif. Il a donné lieu à l’organisation d’une journée de travail au local de Marins à l’ancre, pour penser sa conception, sa présentation, son organisation. Cette journée a surtout été l’occasion de réaliser une première analyse collective des données recueillies, laquelle a marquée un tournant dans le projet : « c’est pour cela qu’on a fait une grande réunion en septembre pour faire le point, on fait le point sur tout ce qu’on a et on essaie de passer à une valorisation. On a construit un discours, un discours muséographique quelque part, avec les ateliers le matin. Cette réunion tout le monde avait dit qu’elle avait fait un bien énorme. Parce que en fait avant ça c’était flou pour beaucoup de gens. Et travailler dans le flou ce n’est pas toujours facile, même pour moi ça n’a pas été évident, mais pour certains bénévoles ça a été compliqué » (salarié d’Emglev Bro Douarnenez).

Un autre avantage des évènements publics est qu’ils permettent de convoquer la presse et de réunir un public large pour ouvrir Marins à l’ancre à la population et donc trouver sa légitimité. « Les méthodes d’ouverture c’est la presse bien évidemment. Mais on a été un peu plus loin, chacun avait rencontré des gens et on avait créé un gros listing de personnes susceptibles d’être contactées, via le Port-Musée, via la connaissance de tout le monde, il y avait quand même une liste de 50-60 personnes. On ne les a pas enregistrés tous, mais ont les a rencontrés presque tous. [Pour les évènements] on envoyait des courriers aux gens. […] En fait c’est des anciens, donc ça marche beaucoup avec le courrier, “nous aurons le plaisir de vous recevoir lors de…”. Un courrier adressé chez eux. […] C’est un public qui est touché par une invitation officielle, ils se disent “ils ont envie que je vienne”. C’est le Port-Musée qui a eu l’idée, on le faisait au Festival [de cinéma] avant aussi » (salarié d’Emglev Bro Douarnenez).

Tableau 2 : Programme des principales activités publiques :

Décembre 2015 : présentation officielle du projet avec la projection du film L’étoile d’Or, des tableaux de café à l’origine du projet, réalisation d’un powerpoint de présentation.

 

Mai 2016 : 50 personnes pré-listées sont invitées (anciens marins-pêcheurs et anciennes patronnes de cafés) à une rencontre entre collecteurs et collectés. 20 invités présents.

Juillet 2016 : présentation du projet au stand « Beau port, bon port » durant les Fêtes maritimes de Brest

Mai 2017 : « Comptoir de la mémoire » : 1ers résultats présentés, 1ers extraits sonores (Radio TKZ), photos, cartographie participative.

Novembre 2017 : conférence participative sur l’école de pêche, avec Rolland.

Mars 2018 : « Mousses à l’ancre » : développer par le secteur jeunesse d’Emglev Bro Douarnenez (aspect intergénérationnel), rencontre avec un marin-pêcheur, une patronne de café, limonade dans un café avec le patron actuel pour échanger sur l’évolution des cafés, achat de poissons, sortie en chaloupe avec l’association Treizour.

Mai 2018 : Reconstitution d’un café de marins d’époque, baptisé « Chez Georgette », lors d’une journée d’ateliers et d’animations autour des cuisines de Bretagne et d’ailleurs, organisée à Douarnenez par l’association Rhizomes.

Juin-octobre 2018 : Animation à l’EHPAD « Les Jardins du clos » (Douarnenez), présentation du projet, diffusion du film L’étoile d’or et du TKZ Radio, échanges avec les résidents (dont anciennes patronnes de bistrot).

Octobre 2018 : Présentation du projet Marins à l’ancre aux Rencontres Internationales du Patrimoine Maritime et Littoral à Saint-Malo

Décembre 2018 : Reconstitution du café « Chez Georgette », dans le cadre du festival Dispar Amzer, organisé par Emglev Bro Douarnenez

Résumé 5 : L’entretien de la motivation sur le long terme

– il s’agit de l’une des principales difficultés d’un projet participatif

– dans le cas de Marins à l’ancre, elle a pu être dépassée par les expériences associatives passées des acteurs

– la stratégie a été d’alterner réunions régulières des membres du projet et évènements publics ponctuels (projection de film, conférence) et sur le long terme (site internet, Radio TKZ)

– les réunions permettent aux bénévoles de se retrouver et d’échanger sur leurs expériences, alors que les évènements publics permettent de réfléchir au contenu

– les évènements publics permettent aussi de médiatiser le projet, de créer un lien avec les habitants et de recruter de nouveaux bénévoles

– ce choix nécessite une démarche flexible et souple, laquelle permet de s’adapter aux attentes et envie des bénévoles, mais entraîne une part d’incertitude dans le rendu final

– le site internet est un bon outil pour penser et construire le rendu final, initier l’analyse, etc..

La relation « savants »/« profanes »

Pour l’INRA, la démarche participative peut souffrir d’un manque de reconnaissance du monde académique, engendrer des craintes de la part de chercheurs quant à une « banalisation de la science » et un manque de scientificité dans le recueil des données, ou des inégalités entre les bénévoles et les scientifiques : 12% des personnes ayant répondu à l’enquête de l’INRA estiment ainsi que la « politisation des acteurs » et les blocages inhérents à « leurs différences de cultures » peuvent être un frein à la bonne marche d’un projet participatif. Au sein de Marins à l’ancre, l’opposition entre le « sensible » et le « scientifique » est atténuée du fait de l’ancrage local de tous les acteurs. De plus, les scientifiques ne distinguaient pas leur démarche du sensible, comme l’indique Nathalie, historienne qui participe à l’écriture du livre sur l’école de pêche : « je ne fais pas la déconnexion entre les deux. A partir du moment où tu travailles sur de l’humain tu es obligatoirement dans du sensible, et ce n’est pas parce que tu as un regard scientifique que tu vas complètement rejeter le côté sensible des choses ». De même, du côté des bénévoles, la présence des « scientifiques » est perçue comme essentielle, même si apparaît parfois une mise à distance avec les projets muséaux plus classiques où la culture serait construite « depuis Paris ». La question de la légitimité des différents acteurs revient ainsi de manière récurrente dans les entretiens, tout comme elle l’était pour les relations internes au groupe bénévole. Elle se retrouve aussi bien du côté des institutionnels qui ont besoin des bénévoles pour défendre l’approche inclusive que chez les bénévoles qui ont besoin des institutionnels et des universitaires pour légitimer leur participation à un projet « scientifique ». La complémentarité entre les acteurs, leurs compétences et leurs savoirs, a justement été jugée centrale par l’INRA (2016) pour la réussite d’un projet participatif. Cet aspect est particulièrement visible chez les bénévoles de Marins à l’ancre qui, tout en soutenant leur autonomie et leur légitimité en tant qu’habitants, jugent la présence du Port-Musée et des universitaires indispensable pour leur conférer une légitimité. Cette présence offre un cadre rassurant et permet aux collecteurs bénévoles de s’épanouir pleinement dans le travail de collectage. Ainsi, comme l’indique Anthony, « c’est rassurant qu’ils soient là, parce qu’ils ont des connaissances, pour le coup historique, que nous on n’a pas ». Pour Pascal, cette présence offre aussi un gain de temps important : « quand il y a des gens comme ça, ça permet de nous freiner dans le fait qu’on s’éparpille. Quand tu as un guide, quelqu’un qui sait vers où il veut aller, qui cadre les choses, on gagne un temps fou ». Paradoxalement, c’est ainsi au sein de l’équipe de bénévoles que les tensions entre « amateurs » et « connaisseurs » auraient pu poser le plus de problème (voir supra).

Cette articulation entre bénévoles, scientifiques et institutions est particulièrement forte lors de la phase de restitution et du rendu final. Sur cet aspect, les avis diverges entre les bénévoles qui se satisfont du collectage et ceux qui aimeraient participer à la construction de l’exposition ou à l’écriture du livre, que ce soit par intérêt personnel ou pour maintenir la dynamique participative jusqu’au bout. Certains, comme Jeanine, font une entière confiance aux scientifiques et institutionnels du fait de la collaboration qui est née depuis le début du projet : « le Port-Musée pour moi c’est des experts [rire]. Donc je pense qu’ils vont faire quelque chose de super bien. Après, j’ai confiance parce qu’ils viennent aux réunions et on a vu [le conservateur et la médiatrice] s’intéresser vraiment à notre travail et trouver assez unique l’ambiance qu’il y a entre nous. Donc c’est bon signe ! ». Une certaine division du travail semble aussi être acceptée pour les bénévoles entre le collectage et le rendu final, qu’il s’agisse de l’exposition ou du livre : « je vois ça comme des professionnels, entre guillemets “les pros ont pris le relai”. Après moi ça m’intéresserait de voir l’avancée de leur travail mais un peu dans un coin, je ne me sens pas de lire un truc et de dire “non ça ne me semble pas…”. […] Je ne serai pas frustré. Moi j’étais vraiment de base collecteur, ce qui m’intéressait vraiment c’était le collectage » (Pascal, bénévole). Cette division du travail peut cependant engendrer des frustrations, relevées par l’INRA (2016), si certains bénévoles se retrouvent écartés de l’élaboration de l’exposition ou de l’écriture du livre. Ainsi, pour Julien, « se pose aussi la question du lien entre les bénévoles et le bouquin et l’expo. C’est-à-dire, je trouverais dommage, d’ailleurs je l’ai dit une fois en réunion, je trouverais dommage que les collectages servent uniquement à alimenter des professionnels pour faire une expo et des bouquins, que les bénévoles ne soient pas associés à ça… » (voir infra). Ce risque de n’avoir pas anticipé de manière collective l’exposition est perçu par le conservateur du Port-Musée : « comme toute forme d’expérience comme celle là, on suscite de l’enthousiasme, des attentes etc., donc si on se plante ça fera mal. Ca créera beaucoup de déceptions, de désillusions, des choses comme ça. On le sait. Donc pour le moment on est vraiment sur la phase collectage, mais voilà moi je suis vigilant par rapport à cela ». Cette part d’incertitude sur la méthodologie et le contenu est inhérente aux projets participatifs (Simon, 2009). Sur ce point, la création du site internet semble être un outil tout-à-fait approprié pour atténuer cette crainte et amener les bénévoles à penser le rendu final.

Les relations interinstitutionnelles

En dehors de la distinction entre « savants » et « profanes », un autre élément qui est ressorti de l’enquête est la question de la cohabitation entre les institutions impliquées. Chaque institution s’est parfaitement retrouvée dans la démarche participative promue par le projet : la Région Bretagne du fait de ses dix années d’expérience dans le participatif, le Port-Musée qui mène une réflexion sur la muséologie inclusive et avait déjà initié le projet Bertré, et enfin Emglev Bro Douarnenez qui a une solide expérience d’organisation d’évènements. Chaque institution apporte un savoir-faire, un réseau et une démarche qui permet d’attirer à la fois des bénévoles différents et un public pour large, tout en maintenant chacune sa spécificité et son intérêt personnel grâce à la légitimité offerte par l’autre : « Il y a une symbiose entre les deux. Et c’est un soutien aussi, parce que t’imagine nous ça nous donne une légitimité dans notre recherche aussi. Parce que si Emglev Bro Douarnenez s’était décidé du jour au lendemain à faire des trucs comme ça, ben tu vois déjà on n’aurait pas eu l’objectif de faire une expo et on sait bien que quand on n’a pas d’objectif final c’est plus dur de monter un projet comme ça » (président d’Emglev Bro Douarnenez). Cette complémentarité est rendue possible par la base commune aux deux institutions : un même ancrage sur un même territoire, une même identité liée à ce territoire, et un même projet de transmission intergénérationnel, qu’il s’agisse du patrimoine ou d’une langue. Il y a donc un intérêt commun entre les deux institutions et des « valeurs partagées » comme l’indique le président d’Emglev Bro Douarnenez : « c’est déjà une rencontre qui est chouette, intéressante, parce que on se rend compte qu’on parle la même langue et c’est des gens avec qui il est facile de travailler. C’est facile de travailler parce que on se comprend, on a des valeurs partagées ». L’une des forces du projet est ainsi la complémentarité entre les acteurs institutionnels partenaires, laquelle a permis à Marins à l’ancre de devenir « une entité en soi ».

Cette complémentarité entre acteurs et institutions a été rendue possible notamment par la position intermédiaire de l’association Emglev Bro Douarnenez, laquelle a joué un rôle de médiateur entre les différents acteurs et a permis une conciliation entre leurs intérêts respectifs grâce à une méthodologie souple et flexible dans la coordination. C’est elle qui joue le rôle d’arbitre, défini les règles et permet donc de surmonter les éventuels conflits d’intérêt par des arrangements institutionnels qui déterminent l’action collective et la fait évoluer dans le temps. Elle a également joué un rôle important dans les périodes de « flou » en prenant en charge certains travaux ou en créant des commissions pour réunir les bénévoles les plus « connaisseurs » pour accélérer le projet.

Résumé 6 : Les relations entre les différents acteurs du projet

– Marins à l’ancre bénéficie d’une grande complémentarité entre tous les acteurs (bénévoles, scientifiques, institutions) du fait d’un même ancrage local et de valeurs partagées.

– la question de la légitimité est présente chez tous les acteurs, notamment chez les bénévoles qui ont vu les scientifiques et les institutionnels comme un soutien essentiel pour leur épanouissement dans le projet.

– les scientifiques apportent un aspect rassurant aux bénévoles et une légitimité dans leurs recherches.

– la complémentarité entre tous les acteurs a été facilité par la position de médiateur joué par Emglev Bro Douarnenez.

Un manque d’outils pour une analyse adéquate

L’importance accordée à la méthodologie inclusive et participative ainsi que l’aspect « expérimental » du projet, ont bien souvent amené les différents acteurs à s’intéresser davantage à la « forme » qu’au « fond ». Cet aspect se retrouve aussi bien du côté des bénévoles27 que de celui des institutionnels28.

L’absence de projection sur le long terme a cependant été perçue comme un handicap pour les bénévoles plus « connaisseurs ». Julien, par exemple, se considère comme « ethnologue amateur » mais a bien conscience de ne pas posséder tous les atouts scientifiques pour mener à bien son projet, ce qui entraîne chez lui une certaine frustration : « je regrette un peu qu’on n’ait pas été un peu plus accompagné, que le projet n’ait pas mis à notre disposition un référent que l’on pourrait appeler pour pouvoir discuter avec lui pendant une heure, pour pouvoir se faire réorienter ». Ce manque a également été perçu par Rolland, le formateur, « j’aurais voulu pouvoir suivre un peu plus et faire peut-être un peu plus, non pas de formation, mais suivre le travail des collecteurs, faire des entretiens avec des gens, discuter un peu plus avec les collecteurs, tu vois j’aurais voulu suivre un peu plus leur travail sur le terrain. Mais j’en ai pas eu le temps, parce que j’ai mon boulot, j’ai tout ça ». Il réalise néanmoins plusieurs entretiens avec des bénévoles, avec les plus « connaisseurs » qui cherchent à approfondir leur démarche, ou avec des « amateurs » qui craignaient les premiers entretiens, notamment ceux travaillant sur l’école de pêche et qui ne connaissaient pas bien son histoire. Ce manque de suivi est pour Rolland l’une des limites du projet, notamment pour l’aspect école de pêche qui nécessite une connaissance plus fine de l’histoire et aurait nécessité plus de formation, des conférences, etc.. Cette lacune s’avère être un élément crucial que peu de projets parviennent à dépasser pour une participation totale et complète des bénévoles (Simon, 2009). En effet, les outils de collecte sont souvent travaillés prioritairement par les « bénévoles », alors que les outils d’analyse le sont par les « scientifiques », contredisant dans bien des cas la finalité du projet collaboratif, « or, la recherche-action collaborative ne devient collaborative que dans la mesure où ses outils ne dichotomisent plus ces deux moments de la recherche, ni leurs auteurs » (Bourassa et al., 2007). L’un des principaux défis soulevés par ces expériences participatives est ainsi de trouver les outils permettant à tous les acteurs de participer pleinement aux différentes étapes du processus de recherche et d’analyse (Dubost et Lévy, 2002).

Pour combler cette lacune, une solution aurait pu être de favoriser les ateliers par groupes réunissant les bénévoles partageant les mêmes savoirs et mêmes objectifs : « parce que si chacun se met à travailler dans son coin sur les interviews qu’il a fait, il faudrait peut-être qu’il y ait un petit comité qui ferait des écoutes et qu’on détermine “tiens ça c’est intéressant !”, des blocs, pour faciliter le travail final ». Des écoutes collectives d’entretien et des commissions par thèmes (cartographie, etc.) ont été crées, mais peut-être trop tardivement pour répondre aux différentes attentes inhérentes à l’hétérogénéité du groupe, certains ayant déjà quelque peu « décrochés » au moment de leur mise en place. De plus, ces ateliers nécessitent une coordination générale rendue difficile du fait du manque de temps du salarié d’Emglev Bro Douarnenez et des formateurs. On note ainsi que les points où le projet a pu montrer certaines limites sont justement ceux où l’association Emglev Bro Douarnenez était la moins présente, car elle était moins légitime à l’être et n’avait pas les capacités pour cela : dans l’encadrement scientifique du projet ou sur l’aspect école de pêche plus étroitement associé au Port-Musée.

Les « connaisseurs » ont cherché à palier ce manque d’outil de manière informelle en entrant davantage en relation avec les représentants du Port-Musée et les ethnologues qu’avec le reste des collecteurs : ils ont lu les livres, réalisés des entretiens avec eux. Cet aspect a été facilité par la présence de l’un des ethnologues à Douarnenez et sa participation constante aux réunions29. Malgré tout, un plus grand encadrement aurait cependant permis d’ « aider les collecteurs bénévoles, amateurs que je suis, à réfléchir un peu sur ce qu’ils ont collectés. Et leur donner des outils, ou du moins des pistes pour pouvoir amorcer des analyses et à partir de ces analyses pouvoir rebondir sur d’autres collectages. Ca ça m’a manqué moi » (Julien, bénévole). Ce suivi aurait également permis aux bénévoles de mieux « digérer » les nombreuses informations et savoirs acquis durant la formation : « c’est des choses que moi personnellement je n’arrive pas à digérer du premier coup, c’est des choses qu’il faut que je reprenne. Mais oui j’ai lu, après tu prends ton stabilo et tu surlignes les passages intéressants mais c’est vrai que l’approche au départ a été assez difficile » (Pascal, bénévole). Les journées de formation avaient été étalées dans le temps pour justement répondre à certains besoins nés durant le projet, mais c’est davantage un suivi individuel qui est demandé par certains bénévoles.

Résumé 7 : Un manque d’encadrement des bénévoles pour l’analyse des données

– la participation des bénévoles à l’analyse des données est l’élément le plus difficile des projets participatifs.

– Marins à l’ancre a connu ces mêmes difficultés du fait que bien souvent a été privilégiée la forme (participative) au fond (rendus finaux).

– certains bénévoles plus « connaisseurs » ont été frustrés de n’avoir pas un suivi ni des outils d’analyse des données sur le long terme.

– une solution pourrait être la multiplication des ateliers collectifs réunissant des bénévoles aux profils et attentes semblables

– une autre serait de prévoir un poste scientifique spécifiquement dédié au suivi des bénévoles dans l’analyse des données, fonction que ne pouvait pas accomplir les formateurs par manque de temps ni le salarié Emglev Bro Douarnenez par manque de temps et de connaissance scientifique du sujet.

L’empowerment et le « faire communauté »

La démarche participative est souvent associée à l’empowerment dans la tradition nord-américaine où elle constitue une dimension importante du développement communautaire, en posant la question de l’accès au pouvoir des groupes minoritaires et de la construction de contre-pouvoirs (Bacqué, 2006). Si Marins à l’ancre ne porte pas en lui une dimension de contre-pouvoir, il participe cependant à la constitution d’une certaine agency (capacité d’agir) des bénévoles et à la construction d’une « communauté » comme le souhaitait le conservateur du Port-Musée (à partir de son expérience nord-américaine). Pour de nombreux bénévoles, il a ainsi été une source d’apprentissage, tant dans la démarche ethnographique que sur les connaissances de la ville.

Le « faire communauté » est particulièrement visible lors des évènements publics qui permettent de réunir bénévoles et habitants dans une histoire commune et donc de créer du lien. Comme l’indique Laurent : « c’est le fait de voir plein de gens qui habitent dans la même ville et qui ne se voient pas forcément. De se retrouver, de discuter quoi. “ah tiens ça fait longtemps que je ne t’ai pas vu !”. Alors que les mecs ils habitent peut-être à 400 mètres l’un de chez l’autre. Au moins là c’était un truc concret de notre démarche ». Cet aspect est également présent dans certaines relations tissées entre les collecteurs et les collectés, les premiers participant à une intimité et à la transmission entre génération : « j’ai enregistré l’entretien sur une clé et je l’ai confié à sa fille, donc [sa fille] a l’entretien. Et sa fille m’a dit “merci merci merci !!!” parce que elle le garde l’entretien, je pense que c’est pour les petits enfants et c’est merveilleux. Ouai. C’est ça que ça crée aussi ».

Le projet apporte également une nouvelle légitimité à certains bénévoles. Pascal par exemple imagine aujourd’hui plus facilement intégrer d’autres structures pour poursuivre le collectage : « nous on sera les futurs cinquantenaires, soixantenaires, qui ont connu, moi c’est un truc qui m’intéresse […] Je suis assez frustré, j’ai envie de collecter plus de gens encore, me consacrer à voir encore des gens dans les mois qui vont venir, je préfèrerais m’occuper encore de cette partie là. Parce qu’on avait parlé de ça entre nous, on a encore beaucoup de gens à aller voir mais à un moment il faudra peut être aussi dire “stop on arrête les collectages et on travaille sur ce qu’on a”. Sauf que moi je me dis non, il y a des gens faut qu’on aille voir parce qu’il y aura un goût d’inachevé sinon s’ils ne font pas partie du projet […] Pourquoi pas continuer le travail après le projet, maintenir le groupe ou en partie avec ceux qui veulent. C’est sans fin, ce serait super intéressant ». Cette volonté de poursuivre le collectage après le projet est partagée par d’autres, et montre une réelle prise de conscience patrimoniale et une volonté de faire le patrimoine autrement : « Il n’y a pas de raison que ça s’arrête. Sinon on dit c’est que une expo. Mais la démarche du collectage du patrimoine elle ne s’arrête pas avec une exposition, une exposition c’est qu’une espèce de halte pour montrer ce que l’on fait, pour récompenser les investisseurs, pour faire plaisir aux élus, pour faire plaisir à tout le monde, mais en fait il n’y a pas de raison que ça s’arrête non plus quoi ! […]A Douarnenez on peut alimenter des années et des années de collectage. Mais il faut un petit côté formel à ça, associatif. Avec pourquoi pas l’idée de créer une asso spécialisée. Et après il y a des gens qui font des expos, des bouquins, des articles avec tout ça » (Stéphane, bénévole)30.

Pour d’autres enfin, le projet porte cependant en lui certaines limites, du fait de certains manques dans le suivi des bénévoles qui auraient permis un processus plus fort : « Moi ce qui me semble intéressant c’est le côté éducation populaire que l’on aurait pu mettre, comment arriver à partager les connaissances entre des experts et des non-experts pour pouvoir créer de l’analyse et de la prise de conscience, de la critique, tout ce qui permet de réfléchir quoi. Et ça je pense que ça manque. Je ne dis pas qu’il y en n’a pas, mais ça pourrait être beaucoup plus développé au sein du projet » 31. Le projet Marins à l’ancre ne semble pas avoir atteint une telle dimension politique en restant davantage porté sur la question du collectage, du patrimoine et de l’identité personnelle et locale. S’il n’atteint pas la puissance des « forums hybrides » (Callon, Lascoumes et Barthes, 2002), le projet Marins à l’ancre montre cependant une réussite dans la reconstruction du lien social entre les habitants et une prise en compte de la valeur du patrimoine. Cette agency, notamment la capacité à « faire communauté » et à porter eux-mêmes ce patrimoine et d’en devenir les passeurs en collaboration avec les institutions, est ici étroitement liée aux facteurs fondamentaux nécessaires à la production de la motivation intrinsèque (Sarazin et al., 2011) : le sentiment d’appartenance (au groupe, notamment grâce aux institutions qui agissent comme des « autrui significatifs » de valorisation), le sentiment d’autonomie (intégrer le groupe selon ses propres motivations et faire selon ses propres envies) et le sentiment de compétence (valorisation individuelle du travail effectué, grâce notamment à la dimension collective et « partagée » de celui-ci).

Encadré 1 : Une ethnographie du proche

Lorsque le projet avait été sélectionné par la Région Bretagne, celle-ci avait proposé la réalisation d’une « enquête de l’enquête » afin d’avoir un retour sur celle-ci et sur les méthodes employées. Comme l’indique Valentine de la Région Bretagne, « on sait que c’est une expérience et c’est pour cela que c’est important pour nous de voir les choses qui marchent et les choses qui marchent moins bien, les freins. Pour nous c’est fondamental d’avoir ce regard aussi. Et cette honnêteté. Pour pouvoir aussi pourquoi pas s’inspirer de cela pour des dispositifs futurs ». C’est dans ce cadre que cette étude a été réalisée.

Né à Douarnenez, petit-fils de marin pêcheur ayant parcouru les cafés enfant avec mon grand-père, ami de plusieurs membres du projet, je partageais un aspect sensible avec les bénévoles qui a facilité sur certains aspects le travail du fait que je ne suis pas apparu comme l’enquêteur « déconnecté » ou venu « de Paris ». De par ma formation en sociologie, je pouvais aussi conseiller les bénévoles face aux doutes qu’ils me confessaient lors des entretiens ou, à partir de mon expérience, leur montrer que certains « flous » qu’ils rencontraient faisaient partie du processus même de l’enquête. Christine Audoux et Anne Gillet (2011) utilisent le concept médiation pour décrire les acteurs qui font la « passerelle » entre différents savoirs et différents référentiels épistémiques. Comme l’écrivent les auteures, « il apparait que les acteurs qui posent ces actes de médiation portent en eux les deux référentiels. Ce sont des individus qui possèdent une double vision, comme l’acteur associatif au passé de sociologue, la généticienne qui travaille avec des boulangers et des paysans, ou encore le chercheur qui positionne son travail de recherche aussi dans le monde de l’action ». Je me suis ainsi retrouvé à faire parfois ce travail de médiation.

Habitué aux terrains lointains, l’étude du proche a révélé néanmoins certaines difficultés, que ce soit lors d’entretiens avec des amis de longue date ou dans l’analyse finale avec un risque de perte d’objectivité du fait du même aspect sensible qui me traversait. De plus, le manque de disponibilité ne m’a pas permis d’accomplir le travail de suivi espéré par certains bénévoles. A l’inverse, cette « enquête de l’enquête » a été source importante de questionnements sur mes propres pratiques sociologiques.

L’exposition finale

Le 5 avril 2019, l’exposition sur les cafés de marins est finalement inaugurée, avec une centaines de personnes, institutionnels, collecteurs, collectés, formateurs, habitants de la ville, habitués du Port Musée et novices. Largement relayée dans la presse32, elle a nouvellement été l’occasion de saluer la démarche « humaine » du projet durant les discours de présentation. Sur 600m², l’exposition présente l’histoire des cafés d’autrefois, leurs évolutions, avec des reconstitutions de cafés à différentes époques grâce à un appel lancé dans la presse aux habitants afin de collecter des objets ; elle donne également des informations plus sociétales sur l’évolution de la pêche, sur la consommation d’alcool ou encore sur l’histoire des vins algériens qui alimentaient les cafés de Douarnenez.

Sa préparation a donné lieu à plusieurs réunions collectives entre les membres du Port-Musée et les collecteurs ainsi qu’à des visites du lieu pour imaginer le rendu final. Ces réunions ont été un moment salué par tous, à commencer par les bénévoles : « le fait d’avoir des réunions avec l’équipe du Port-musée, je trouve que là on allait vers l’aboutissement et ça donnait confiance dans ce qu’on faisait, ils étaient à l’écoute, et aussi [le conservateur] a entendu nos remarques dès la première visite, et il a dit qu’il en a tenu compte immédiatement » (Jeanine, bénévole). Durant ces réunions et visites, les collecteurs on joué le rôle de « comité scientifique » en validant les propositions de l’équipe du Port-Musée, comme le précise le conservateur du musée : « ils ont joué le rôle d’un comité scientifique, en fait, dans la phase finale. Autant peut-être au début du projet on a cherché à accompagner les bénévoles en les mettant en contact avec des professionnels, avec des universitaires pour qu’ils puissent acquérir un certain nombre d’outils, se sentir en confiance et progresser aussi dans leur apprentissage, autant la situation s’est peut-être inversée à la fin où finalement ce sont eux qui validaient les options de l’équipe de scénographie ». Les réunion collectives de préparation de l’exposition ont ainsi joué un rôle crucial dans la réussite finale du projet en permettant un moment d’échange où tout le monde a pu s’exprimer d’égal à égal, chacun valorisant une expertise. A l’expertise plus technique de l’équipe du musée, les collecteurs ont, parfois sans s’en rendre compte, fait valoir une expertise plus scientifique grâce aux connaissances acquises de leurs enquêtes et des témoignages recueillis. Alors que la question de la légitimité avait été centrale tout au long du projet, et parfois même d’angoisse, c’est cette même légitimité acquise dans le temps — et le sentiment d’être pleinement légitime — qui a permis la réussite du projet final sur les cafés : « ce que je trouve vraiment extraordinaire c’est ce qui s’est créé entre nous, intellectuellement j’ai envie de dire, la confiance qui s’est créée, les uns envers les autres. Parce que moi je suis épatée du niveau, du résultat… » (Jeanine, bénévole).

Bistro, exposition au Port-Musée à Douarnenez

Photo 4: L’affiche de l’exposition, réalisée par le Port-Musée de Douarnenez

Ce sont en effet les collecteurs qui proposent l’idée de reconstituer plusieurs cafés à différentes époques et qui mentionnent que l’élément intangible à ces époques étaient la fenêtre, avec vue sur l’espace portuaire, cette fenêtre occupant une place centrale de l’exposition jusqu’à figurer sur l’affiche (voir photo 4). Cette fenêtre est devenue pour le conservateur du musée l’élément central symbolique de l’exposition. Pourtant comme il le mentionne : « ce n’est pas du tout l’option que j’avais retenu au départ. Lors de la première présentation de la scénographie que j’avais fait, j’étais plutôt dans une ambiance comme on fait d’habitude dans cette salle c’est-à-dire un espèce de nocturama, on nocture les fenêtres. Mais c’est la réaction d’une des bénévoles, appuyée par d’autres, nous faisant remarquer que ce n’était pas possible de faire cela puisque les bistrots, au moins dans la première moitié du vingtième siècle, étaient fréquentés de jour, donc on ne pouvait pas se situer dans une ambiance nocturne ». La prise en compte du travail de collectage dans le rendu final a été saluée par les collecteurs, tout comme le travail de ces derniers par l’équipe du musée. La construction de l’exposition finale a ainsi fait oublier certaines craintes, que ce soient celles évoquées par quelques collecteurs de laisser la place uniquement aux « experts » dans cette construction, ou celles mentionnées par d’autres de ne pas se sentir légitimes ou intéressés par le rendu final. L’expérience passée de l’équipe du Port-Musée (projet Bertré) et ses réflexions sur la démarche participative tout au long du projet sont sans nul doute un autre facteur de réussite, en ayant offert une autonomie aux bénévoles tout en leur proposant un encadrement souple et des outils pour mener à bien le projet.

A noter que les collecteurs n’ont pas été les seuls à participer au montage final, de nombreuses personnes ont répondu aux appels lancés dans la presse, comme l’indique le conservateur du musée : « il y a eu cette dynamique qui avait été lancé, qui a fait que spontanément des gens sont venus nous proposer des objets, telle ou telle chose, nous donner la lecture qu’ils avaient par exemple de la taille des verres, donc tout cela complétait le fonds du discours que l’on avait commencé à articuler ». Dans les derniers mois, des contacts avec des universitaires ont également permis d’approfondir certaines données, notamment plus historiques.

Résumé 8 : Une participation finale réussie

– Les réunions et visites collectives de préparation de l’exposition, entre les collecteurs et l’équipe du musée, ont été une grande réussite en permettant un échange d’égal à égal entre les différents acteurs

– Ces réunions ont permis de rompre certaines avec craintes et d’échanger scientifiquement sur le contenu, en permettant justement un débat scientifique qui a manqué à certaines étapes du projet

– A l’expertise technique de l’équipe du Port-Musée, les bénévoles ont proposé une expertise scientifique acquise grâce à leur travail passé (entretiens, formation, etc.) ce qui leur a permis de se sentir légitimes pour participer activement à la construction de l’exposition

– Les collecteurs ont ainsi joué dans cette dernière étape le rôle de « comité scientifique »

– L’écoute attentive de l’équipe du Port-Musée aux demandes et propositions des bénévoles a été cruciale à cette étape du processus créatif, témoignant de ce fait des réelles prédispositions de l’équipe à superviser un tel projet participatif sur le long terme tout en accordant une autonomie aux bénévoles

Conclusion

La construction et l’objectif de Marins à l’ancre ne sont pas éloignés du « commun informationnel » analysé dans d’autres contextes, lequel renvoie à un ensemble de ressources de nature littéraire, artistique scientifique ou technique dont la production et l’accès sont partagés par un ensemble d’individus organisés collectivement. Ces « communs informationnels » ont ainsi « le potentiel à révolutionner la production et la circulation de l’information et des connaissances » (Coriat, 2015). L’objectif de Marins à l’ancre est ainsi double : une production partagée entre acteurs (collectés et collecteurs, acteurs institutionnels, « scientifiques ») et la volonté affichée de rendre le rendu final (livre et exposition) plus « ouvert » aux habitants du fait même de la démarche et de la dimension « sacrée » du thème : la ville, son histoire, ses cafés, ses marins.

Comme l’indique Benjamin Coriat, les « communs » — ici les « communs de la connaissance » — posent la question de la compatibilité des différents acteurs et amènent donc à analyser les pratiques et normes qui régissent l’action collective et permettent la robustesse du projet. L’étude de Marins à l’ancre a montré une forte complémentarité entre les différents acteurs qui se sont construits autour d’une légitimité réciproque. Elle montre également une part d’incertitude propre à de nombreux projets participatifs (Simon, 2009), que ce soit dans la démarche elle-même ou quant au rendu final. Les pratiques et normes internes étaient ainsi peu structurées, malgré une formation initiale des bénévoles qui s’est avérée centrale pour créer le groupe, ses objectifs et une certaine déontologie. La méthodologie s’est davantage construite sur le tas, selon les envies et besoins des uns et des autres. Cet aspect participatif du cadre méthodologique n’a cependant pas permis de répondre à toutes les attentes, notamment dans la phase d’analyse des données qui a généré des frustrations pour quelques bénévoles, même si ces craintes se sont effacées lors des ultimes réunions collectives de préparation de l’exposition. Ainsi, l’hétérogénéité du groupe des bénévoles a été un élément moteur pour son dynamisme et pour construire sa légitimité ; mais elle a aussi révélé les difficultés de répondre aux différentes attentes suscitées par les trajectoires différenciées des participants. La principale difficulté était justement que ce besoin d’accompagnement dans l’analyse des données était minoritaire dans le projet, la grande majorité des bénévoles étant davantage concentrée sur le collectage. Cette lacune n’est pas propre à Marins à l’ancre. Elle est courante dans les projets participatifs (INRA, 2016) et a pu être en partie résorbée par la création de nouveaux outils durant le projet (site internet, ateliers de groupe) et lors de la préparation finale de l’exposition.

L’étude de Marins à l’ancre a montré comment un projet « se construit localement au sein d’un système d’interactions et au fil d’épreuves qui sont l’occasion d’un apprentissage de la mutualité » (Audoux et Gillet, 2011). Les différentes phases, décrites par Christine Audoux et Anne Gillet, du processus de traduction qui s’établit entre chercheurs et acteurs d’autres milieux professionnels, sont ici importantes pour comprendre la dynamique interne du projet et la « co-construction de savoirs ». La phase de problématisation consiste à définir l’identité et les actions des différents acteurs à partir de la production d’une question ou d’un énoncé et d’une méthodologie qui relie les acteurs entre eux. Cette articulation est rendue possible par le capital social mobilisé qui permet à chacun de trouver sa place, ainsi que par le travail de délégation approuvé par tous qui permet à chaque groupe d’être légitime dans son articulation aux autres grâce à la co-construction de l’énoncé. Cette phase est particulièrement visible dans Marins à l’ancre lors de l’élaboration du projet par le Port-Musée et Emglev Bro Douarnenez. La phase d’intéressement désigne quant à elle un ensemble dynamique d’actions et d’interactions dans le temps et dans l’espace, qui permet à chacun d’affirmer ses intérêts et donc de solidifier le projet à partir de traductions entre les intérêts de chacun. Cette étape permet la reconnaissance de chaque institution et groupes d’acteurs, à travers parfois la confrontation, parfois l’échange, autour de la méthodologie, des règles établies, des modalités d’analyse et de restitution des résultats selon les intérêts de chacun. Au sein de Marins à l’ancre, plusieurs étapes sont caractéristiques de cet intéressement, à commencer par les premières réunions publiques de présentation du projet et surtout la formation qui permet aux chercheurs d’inculquer une certaine méthodologie scientifique aux bénévoles et à ces derniers de prendre certaine liberté avec celle-ci. La phase d’enrôlement consiste à coordonner les rôles et donc à définir une organisation. Comme l’indiquent Christine Audoux et Anne Gillet, « l’accord sur ces légitimités se scelle donc autour de la délégation du travail d’enquête et de l’organisation du travail à une personne dédiée ». Dans le projet Marins à l’ancre, cette étape a vu éclore le rôle central d’Emglev Bro Douarnenez comme coordinateur du projet, en étant à la fois l’institution de laquelle provient le plus grand nombre de bénévoles et en jouant un rôle de supervision du travail et de gestion de la temporalité des processus. Il s’agit donc bien d’une délégation à Emglev Bro Douarnenez du processus de construction du projet et de sa teneur scientifique. Pour Christine Audoux et Anne Gillet, une autre étape est liée à la constitution de porte-paroles, lesquels envoient d’avantage dans le cas de Marins à l’ancre à des acteurs légitimant le projet tant en interne que vers l’extérieur. Il s’agit ici des fils et petits-fils de marins et de tenancières de café qui sont à la fois les représentants de l’aspect sensible du projet et de sa légitimité auprès de la population. La phase de véridiction s’est quant à elle avérée centrale dans le cas de Marins à l’ancre dans les réunions régulières entre bénévoles, lesquelles ont permis la confrontation des expériences, du vécu et des données recueillies. Ainsi, lors des réunions, « chaque acteur va trouver chez les autres des ressources à ses réflexions et à ses analyses » et donc participer à la co-construction de savoirs et renforcer les identités et les légitimités de chacun dans le processus créatif (Audoux et Gillet, 2011).

Ces différentes phases montrent que, malgré une méthodologie souple et peu structurée initialement, Marins à l’ancre est parvenu à créer son propre design institutionnel. Celui-ci s’est construit à partir des expériences associatives passées de ses membres, grâce à son hétérogénéité interne et selon les besoins du moment. Cette souplesse a été rendue possible du fait des expériences passées et de « valeurs partagées » entre les différents acteurs, que ce soit dans le domaine participatif et dans leur affinité avec la ville de Douarnenez. Malgré une volonté affichée par certains « de ne pas se prendre au sérieux », l’un des résultats les plus révélateurs du projet a été la constante réflexibilité autour de celui-ci et la recherche de légitimité, que ce soit entre les bénévoles eux-mêmes, entre les bénévoles, les « institutionnels » et les « scientifiques », ou entre les acteurs du projet et le public destinataire. L’étude a montré que cette légitimité était née de l’aspect « sensible » du projet mais qu’elle se reproduisait dans la complémentarité entre savoirs et acteurs distincts.

Bibliographie citée

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Simon, Nina, 2009, The Participatory Museum, Santa Cruz, Museum 2.0, http://www.participatorymuseum.org/

  • 1 Ces entretiens ont été réalisés dans le cadre de « l’étude de l’étude » souhaitée par la Région Bretagne, financeur du projet Marins à l’ancre. Il s’agissait pour elle d’avoir une étude de cette expérience participative « innovante », afin de pouvoir la reproduire pour d’autres projets. Nous avons réalisés des entretiens auprès de quatorze bénévoles, trois auprès des institutionnels et deux auprès des formateurs. Certains des entretiens ont été réalisés de manière collective, entre juin 2017 et septembre 2018. Par la suite, en 2019, la préparation de l’exposition finale a permis d’assister à une réunion collective et son inauguration a donné lieu à deux autres courts entretiens, auprès du conservateur du Port-Musée et d’une bénévole, et à des échanges plus informels avec d’autres participants. Certains bénévoles ont été rencontrés à plusieurs reprises afin de prendre en compte les évolutions de leur perception du projet dans le temps. Afin de décrire au mieux cette dynamique « participative » et le ressenti des acteurs, une large place est faite aux citations des acteurs. Tous les noms des participants ont été modifiés afin de conserver l’anonymat. Une version plus scientifique et théorique sera produite à destination d’une revue spécialisée.
  • 2 Rolland et l’étudiante en Master d’Histoire à Brest ont réalisé un travaille d’archivage au Service Historique de la Défense à Brest et à Pierrefitte (Île-de-France) où ils ont totalisé respectivement 3000 et 1400 photos d’archives à eux deux. Quant à eux, les bénévoles chargés du travail d’archivage ont travaillé principalement à Douarnenez, aux archives du Port-Musée et de la mairie.
  • 3 Ce sont principalement des femmes qui gèrent les cafés de marins, certaines recevant une aide pour ouvrir un café à la mort de leur mari péri en mer : voir Le Pann, Annaëlle, 2015, « De l’autre côté du comptoir. Les femmes patronnes de café », Mémoire de la ville, n°38, Douarnenez
  • 4 Il existe différentes catégorisations des acteurs participant à un projet participatif. Par exemple, dans son ouvrage The Participatory Museum, Nina Simon (2009) distingue de son côté plus spécifiquement les institutions, les participants et le public.
  • 5 Voir le site internet www.patrimoine.bzh/
  • 6 La création du Port-Musée est en effet associée au débat sur l’avenir de la pêche à Douarnenez durant une « fâcheuse concordance de temps » entre un projet de patrimonialisation et la crise de cette activité (Le Boulanger, 2000). Il est cependant important de noter que les bénévoles qui participent à ce projet ne font pas le lien direct avec cette histoire, même s’ils la connaissent, le musée étant pour eux tout à fait légitime.
  • 7 Depuis 2017 elle fonctionne avec un salarié à temps plein et un à mi-temps.
  • 8 Cela fut montré aussi par Florian Charvolin, 2017
  • 9 http://divers-cites.fr/
  • 10 « L’association Ethnologues en herbe a été créée en 2000 pour mettre en œuvre une pédagogie des sciences du monde social, en particulier l’ethnologie et l’anthropologie, dans la classe, à partir de l’école primaire, ainsi que dans tout contexte où ces sciences peuvent éclairer les rapports sociaux et permettre à chacun de se construire au sein de sociétés multiculturelles » (cf : http://ethnoclic.net/)
  • 11 Le Chasse-Marée est une revue née à Douarnenez en 1981 autour du patrimoine et de la culture maritime (histoire, art, navigation, pêche, charpenterie, etc.).
  • 12 Depuis 1986, les Fêtes Maritimes dénommées « Temps fête » réunissent tous les deux ou quatre ans des voiliers traditionnels et vieux gréements français et étrangers autour d’un évènement festifs de plusieurs jours.
  • 13 Comme l’indique Pauline « dans le groupe de ceux qui travaillent, je pense que l’on n’était pas prêt à rentrer dans l’analyse, du moins chez nous après les entretiens, mais plus en groupe durant les réunions. On était peut-être un peu plus en dilettante sur les choses [rire] ».
  • 14 Terme employé à Douarnenez pour désigner les nouveaux habitants, lequel révèle un rapport particulier à la ville et à son identité.
  • 15 Film de Marie Hélia (1990) témoignant de la vie et du quotidien de patronnes de bars à Douarnenez
  • 16 « Moi tout ce qui est livre, papier, vieux papiers, ça me fascine et j’ai toujours envie de mettre le nez dans la poussière et dans les vieilles archives » (Entretien Josiane, bénévole aux archives)
  • 17 Autrefois nommé « Festival des minorités nationales », le Festival de Cinéma de Douarnenez est né en 1978 et est aujourd’hui le principal évènement culturel de la ville.
  • 18 Cette complémentarité au sein des bénévoles se retrouve également avec les institutionnels et les « professionnels » liés au projet (voir infra).
  • 19 Lors d’un évènement public, un membre du public a lancé un débat virulent sur la consommation d’alcool dans les cafés et sur les bateaux. Ce débat est mentionné dans la presque totalité des entretiens et apparaît comme révélateur de la légitimité qu’ils avaient acquis auprès du public : le partage d’une même sensibilité et la participation aux débats de la vie locale.
  • 20 A titre de comparaison, en 1983 le projet Participation Publique à la Recherche Scientifique (PPSR en anglais) définit trois grandes catégories de recherche participative. Les projets « contributifs » offrent la possibilité aux participants de recueillir des données sous le contrôle des scientifiques qui orientent la collecte et analysent les résultats. Au sein des projets « collaboratifs », les participants recueillent et analysent les données pour en tirer les conclusions en collaboration avec les scientifiques. Enfin, dans les projets de « co-création », les scientifiques coproduisent des schémas scientifiques pour répondre aux intérêts de la communauté. Ces deux derniers projets doivent aider les participants à développer leurs propres compétences (Simon, 2009).
  • 21 www.lesporteslogiques.net/
  • 22 Comme l’indique Pauline : « tout le monde avait besoin d’être boosté et d’avoir quelqu’un qui te mette un peu “allez vas-y tu te lances pour l’entretien”. Du coup on a perdu vachement de temps entre la formation et le premier entretien et du coup je pense que tout le monde, tu sais tu as une motivation et après tu passes à autre chose quoi. Il aurait fallu peut-être entamé les entretiens direct après la formation »
  • 23 Cela est confirmé par le conservateur du Port-Musée : « on essaie quand même de temps on temps de canaliser, mais en laissant quand même beaucoup d’initiative… ».
  • 24 La Vie en Reuz est en évènement festif à Douarnenez qui réunie plusieurs membres du projet Marins à l’ancre. Alors que la Vie en Reuz organise un festival de fanfare tous les deux ans sur un week-end, durant les autres années sont organisés un évènement plus petit, sur une seule soirée, afin de maintenir la dynamique de l’association et de « former » les nouvelles recrues.
  • 25 Ran-ouenner ou ranhouenner est une françisation douarneniste du breton ranhouenniñ, être ranhouenn qui signifie celui ou celle, qui à force de se répéter, radote, « ran-ouenne ». Voir Pichavant, René, Denez, Per et Kerivel, Charles, 1978, Le Douarneniste comme on cause : étude des mots et des expressions populaires, Diffusion Breiz, Douarnenez
  • 26 www.marinsalancre.bzh
  • 27 « pour moi la grande finalité du projet c’est autant la forme que le fond. C’est-à-dire que le fait de regrouper tous ces gens là autour d’une table pour se poser des questions là-dessus je trouve déjà ça, pour moi la finalité elle est plus là que dans le résultat, c’est-à-dire plus dans la démarche que dans ce qui va arriver » (Anthony, bénévole)
  • 28 « Nous ce qui nous intéressait davantage c’était de travailler avec les communautés qui sont ici autour de la recherche de leur propre passé. C’est plus la démarche qui nous intéressait. Et cela a été bien compris par la Région qui nous a mis au titre d’expérience innovante avec l’objectif d’avoir une expérience qui soit reproductible » (conservateur du Port-Musée)
  • 29 Il est à noter que la deuxième ethnologue avait indiqué aux bénévoles qu’elle pouvait également se rendre disponible tout au long du projet, mais elle n’a que très rarement été contactée.
  • 30 Marins à l’ancre a déjà donné de nouvelles envies de collectage à Emglev Bro Douarnenez qui lance un projet autour des chants dournenistes avec comme finalité l’écriture d’un livre sur ce sujet.
  • 31 Cette relative absence de réflexibilité sur le projet s’explique aussi par la temporalité de cette étude : certains entretiens ont été réalisés durant l’été 2017 alors que le projet se termine en 2019.
  • 32 L’exposition est visible jusqu’au 1er novembre 2020, au Port-Musée de Douarnenez. Voir notamment le reportage réalisé par France 3 Iroise : https://france3-regions.francetvinfo.fr/bretagne/finistere/exposition-douarnenez-quand-bistros-marins-rythmaient-economie-vie-portuaire-1655516.html